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La page rectoversée  n°35

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Art contemporain:
le label AC

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Christine Sourgins, dans son livre « Les mirages de l’art contemporain » (Editions La Table ronde, 2005), aborde sans détours le cas de l’art contemporain et cite de nombreux exemples pertinents. Ses propos et son analyse participent pleinement à la critique salutaire de l’idéologie dominante et totalisatrice incarnée par les tenants de l’Art contemporain (l’AC). Je ne peux que vous inviter à lire son livre pour mieux saisir les modes de fonctionnement de cette idéologie particulière.

En fait, l’AC n’est pas spécialement contemporain. Il s’agit plutôt d’un label, d’une marque de fabrique, attribuée à toute production dite artistique qui répond à certains critères issus du début du XX° siècle (essentiellement puisés chez les dadaïstes et les ready-made de Duchamp).

Pour être labellisée AC, une œuvre doit répondre aux critères suivants : elle doit décrire, puis dénoncer, enfin, contre toute attente et depuis peu, transcender.


1. Décrire la réalité 

L’AC se complaît en effet dans la description du réel. Cette description de la réalité peut être l’appropriation d’un fait de société ou d’un fait individuel. L’œuvre AC peut ainsi se présenter sous n’importe quelle forme pourvu que la forme en question renvoie à elle-même. L’œuvre AC peut aussi être totalement conceptuelle, sans recours à un objet ou encore corporelle, théâtrale, etc… Son champ de captation du réel est sans limites et sans tabou ; tout peut être approprié par l’AC.

Non seulement il décrit mais encore il écrit sur ce qu’il décrit. L’AC, c’est ici et maintenant, dans le sens premier et limité des termes. Voilà pourquoi il adore le show, le très chaud même, jusqu’à l’abject. L’AC est comme une télé-réalité de choc. Dans tous les cas, l’œuvre AC est là pour amener le public dans le réel, tel que les sens communs peuvent le percevoir.


2. Dénoncer 

Si l’AC décrit d’abord, il décrie ensuite, autrement dit, il dénonce. Cette dénonciation est la grande justification du label AC. Ainsi, pour dénoncer l’ultra-violence, l’AC n’hésitera pas à se complaire dans l’ultra-violence. Autre exemple, une performance pornographique sera là pour dénoncer la pornographie. C’est pourquoi les tenants de l’AC ne voient aucun inconvénient à ce qu’un jeune public assiste à des rituels d’AC, au contraire même, ils y sont particulièrement favorables. Soit dit en passant, la certitude que pour lutter contre un fait, il faille le surexposer reste à prouver. Outre le risque d’indigestion voire de surdosage, le risque de la banalisation reste entier. Enfin, dans cette dénonciation par la surenchère, qui est à même de savoir si celle-ci part d’une intention plutôt sincère ou plutôt vile ?


3. Transcender

La transcendance, c’est le nec plus ultra de l’AC, la cerise sur le gâteau. Ainsi, l’œuvre fondatrice du label AC, le fameux urinoir de Duchamp (œuvre labellisée AC bien que réalisée en 1917 !) se voit désormais attribué de vertus symbolique et spirituelle. Symbolique quand ce philosophe très branché AC décrit le triangle formé par les trous par lesquels l’urine peut s’évacuer ; du même coup, il récupère toute la symbolique attachée au triangle et l’urinoir se voit enrichi d’une portée symbolique pour le moins inattendue. Spirituelle lorsqu’un autre philosophe, lui aussi branché AC, insiste sur la couleur blanche de la faïence de l’urinoir, et récupère à son tour toute la symbolique attachée à la couleur blanche, symbolique de pureté et d’élévation spirituelle. Encore un effort et l’urinoir de Duchamp deviendra une relique sacrée !

A force d’affirmer à des générations d’étudiants que l’urinoir de Duchamp est une œuvre d’art, voilà où nous en sommes arrivés. Il aurait été plus honnête de citer aussi ce qu’avait dit le même Duchamp à propos de son urinoir. Je crois utile de le rappeler ici :

« Dans leur néo-dada, ils ont pris mes ready-mades et y ont trouvé une beauté esthétique; je leur ai jeté un porte-bouteilles et un urinoir à la figure, comme un défi, et voici qu'ils les admirent pour leur beauté esthétique !»


4. Le trio infernal

Avec le duo « je décris – je dénonce » , l’AC s’était acheté une conduite. Le public avait compris le mécanisme et en avait accepté peu à peu les règles de la transgression puisque c’était pour la bonne cause de la dénonciation. En retour, l’AC l’avait récompensé en lui accordant la possibilité de participer aux rituels AC, par le biais de la très en vogue interactivité.

La description du réel se devait d’être relayée par la dénonciation. Elle l’a été. Mais la dénonciation se devait à son tour d’être relayée par la transcendance. Depuis peu, c’est le cas. En ajoutant « je transcende », le duo traditionnel de l’AC « je décris – je dénonce » devient un trio proprement infernal. Ainsi, tout objet, quel qu’il soit, est en soi transcendantal. De même, toute pratique est en soi transcendantale.

L’AC affirme depuis bientôt un siècle que tout objet peut être une œuvre d’art. Puis, il affirme depuis les années 50-60 que n’importe qui peut se considérer comme artiste. La fin du XX° siècle a vu enfin l’AC s’injecter une dose de sacré. Maintenant, il s’agit pour lui de convaincre le public que tout objet est une œuvre d’art transcendantale et que donc, les artistes labellisé AC sont les vecteurs privilégiés d’une spiritualité contemporaine, c’est-à-dire que l’on peut les assimiler à des mystiques. Tous les relais sont prêts à transmettre ce message « new age » aux masses incultes : les musées, les institutions, les écoles, les médias.


5. L’inversion délibérée

Bien sûr, en AC, les règles du jeu sont faussées, délibérément. Lorsque l’AC décrit, sa description joue sur le trouble. La dénonciation qui s’en suit enfonce le clou en jouant sur la perversion et la transgression. Quant à la transcendance AC, elle en est fatalement forcée, dénaturée, vide, absente.

Le processus vers le sacré prôné par l’AC suit un mouvement à rebours et d’ailleurs, la quasi-totalité des adeptes de l’AC le savent bien. Le plus souvent, ils ont un malin plaisir à jouer tantôt les candides, tantôt les experts, tantôt les visionnaires, pour mieux renouveler leur idéologie vieille comme le monde. Il s’agit ni plus ni moins que de l’idéologie de l’inversion. En utilisant le langage de la Rectoversion, on pourrait dire que l’AC vise à remplacer le recto par le verso. Pour l’AC, en effet, tout ce qui est obscur est non seulement susceptible d’être montré au grand jour mais doit, en plus et surtout, se substituer à tout ce qui est lumineux. L’obscur devient ainsi le lumineux.

Assurément, cette idéologie de la destruction a encore des beaux jours devant elle à cause des énormes intérêts financiers qui sont en jeux. Les intérêts personnels, la sensation de faire partie d’une élite, le goût du pouvoir et d’autres souhaits moins avouables font le reste. Ce constat amer ne doit pourtant pas faire baisser les bras de ceux qui ont une pratique artistique qui ne renie pas l’art traditionnel. Ils n’ont aucune raison de « vendre leur âme au diable », pour reprendre le dicton lui aussi vieux comme le monde et auquel sont confrontés tant de poètes !


6. Le nœud du problème

Que les choses soient claires, je ne prône pas le remplacement d’une vision totalisante par une autre qui serait tout aussi totalisante. Ma démarche n’est pas nostalgique et si je critique souvent les Lumières, ce n’est pas pour rejeter en bloc leur apport et m’inscrire dans la mouvance des anti-Lumières, loin s’en faut. De même, si je suis amené à critiquer le système AC, cela ne signifie pas que j’en appelle à une révolution tournée vers le passé.

Ma démarche vise à faire connaître les mécanismes d'un système qui s’auto-reproduit et qui tourne sur lui-même. Quand on prétend fonctionner selon un mode démocratique, encore faut-il présenter au public l’ensemble des données contemporaines de l’expression artistique. Si certains aiment à satiété les bidets, excréments et autres ready-made, c’est leur droit. Tant qu’ils trouveront un public pour relayer et justifier leur choix … Par contre, que leur sélection prétende représenter objectivement l’expression artistique contemporaine, là, il y a maldonne ; car si eux-mêmes ne sont pas dupes du choix pour le moins sélectif de leur panel, le public, lui, l’est.

Même si je jouais le rôle d’un artiste strictement traditionnel - ce que je ne suis pas - je dirais qu’une tendance contemporaine évidente de l’art est l’approche atemporelle de la peinture. Entre deux expositions de ready-made interactifs, il serait donc nécessaire de donner à voir une telle approche.

J’entends la remarque rédhibitoire, celle qui consiste à éliminer définitivement les véritables altérités : « Cher Monsieur, figurez-vous que si nous choisissons cela, c’est parce que précisément, nous aimons cet art-là …». Que l’art "pipi-caca" soit aimé, je n’en doute pas une seconde. Qu’il y ait un public qui apprécie également un tel art (ou non-art, peu importe), cela n’a rien d’étonnant eu égard à l’infantilisme généralisé qui infiltre toutes les facettes de notre culture. Qu’il y ait enfin un public jeune pour ces œuvres "pipi-caca", quoi de plus normal !

Mais il se fait qu’il y a des artistes actuels et un public non négligeable qui ne se reconnaissent pas dans la culture "pipi-caca". Autrement dit, nous n’avons pas tous une vision narcissique du monde et cette réalité-là, il faudra bien qu’un jour elle éclate au grand jour.


© Michel De Caso, juin 2006

 

(1) Photo extraite du site http://www.paris-art.com

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" ART CONTEMPORAIN : LE LABEL AC."
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