Métadualisme & Rectoversion
par
Michel De Caso

Sommaire

1. Dualisme
2. Méta-
3. Métadualisme
4. Rectoversion et métadualisme


Lors de discussions que nous avions eues au sein du mouvement artistique « rectoversion », c’est Fabrice Bianchi qui avait exprimé le terme de « métadualisme ». Aujourd’hui, il nous paraît opportun d’utiliser ce mot et de l’associer, en quelque sorte, à celui de Rectoversion. Alors qu’une étude d’Alexandre L’Hôpital-Navarre sur le « métadualisme » vient d’être mise en ligne dans le cercle rectoversion internet, il me semble nécessaire de donner ici et brièvement quelques réponses sur les questions que nous nous sommes posées, à savoir : pourquoi joindre le préfixe méta- à dualisme et pourquoi associer le « métadualisme » à la Rectoversion ?


1. Dualisme

D’une façon générale, le nom de dualisme est donné à des doctrines philosophiques ou religieuses qui présupposent l’existence de deux principes irréductibles et inconciliables. C’est Thomas Hyde qui a créé le premier dans son Historia religionis veterum Persarum (1700) le mot « dualistae » pour désigner ceux qui considéraient Dieu et le Diable comme irréductibles et coéternels. Christian Wolff dans sa Psychologia rationalis (1734) l’appliqua pour la première fois aux philosophes qui supposaient le caractère résolument distinctif de l’âme et du corps.

Cette double définition du mot dualisme est restée car d’une part, le sens forgé par Hyde a été gardé par les historiens des religions et, d’autre part, les historiens de la philosophie ont conservé le sens que lui avait donné Wolff.

Ainsi, le Robert en donne une définition satisfaisante: « dualisme : début XVII° siècle du latin dualis composé de deux.
- doctrine qui admet dans l’univers deux principes premiers irréductibles.
- philosophie : tout système qui admet la coexistence de deux principes essentiellement irréductibles. »

Notons en parallèle que la dualité nomme le caractère de ce qui est double en soi et la coexistence de deux éléments de nature différente.

 

2. Méta-

Le préfixe méta- provient du grec méta (μετά).

Le mot le plus symptomatique de l’utilisation de ce préfixe est sans aucun doute le mot métaphysique. Cette discipline fut créée par les Grecs. Comprise comme la science de l’au-delà de la nature, la métaphysique était à l’origine un ensemble de plusieurs traités écrits par Aristote. Les successeurs d’Aristote comme Andronicos de Rhodes regroupèrent ces traités et, considérant qu’ils devaient être lus après ceux traitant de la Physique, ils leur donnèrent le titre de Meta ta Phusica (soit après la Physique). Ce ne fut qu’au XIV° siècle que le mot (latin) metaphysica fut introduit pour nommer cette discipline proprement dite.

Ainsi, l’élément grec méta désignait initialement l’idée de succession (« à la suite », « après »). Du fait de l’introduction du mot métaphysique (« au-delà de la nature »), c’est l’idée de dépassement (« au-delà ») qui lui a été généralement appliquée. Par exemple, dans les néologismes scientifiques (métalangue, métamathématique), le préfixe méta signifie « ce qui dépasse, englobe » (un objet de pensée, une science). Dans le Robert, il est d’ailleurs indiqué que méta signifie « ce qui dépasse, englobe un objet, une science. ». Un métalangage sera un langage qui parle du langage.

Quant au sens du changement et de la succession (« après ») attribué au préfixe méta-, il a été néanmoins conservé dans des expressions comme : métamorphose (méta + morphê, forme) signifiant changement de forme, ou encore métacarpe (méta + karpos, poignet) désignant l’os qui fait suite au poignet.


3. Métadualisme

Le mot métadualisme n’évoque pas pour nous « après » le dualisme. En effet, nous ne proposons ni un système, ni une doctrine qui viendrait après le dualisme. Toutefois, il est indéniable que les insuffisances du système dualiste se révèlent au fur et à mesure que les temps historiques se déroulent. Dans la mesure où le dualisme serait une construction mentale, certes séduisante car bien pratique mais totalement incapable de rendre compte de la réalité dans sa complexité et sa multiplicité, son caractère caduque serait plus apparent aujourd’hui qu’hier.

Mais ce constat, évident à plus d’un titre, ne nous paraît pas absolu. Si nous nous plaçons en effet dans une optique de temps non-chronologique, optique dont on ne peut nier la réalité compte tenu des constantes de l’histoire humaine, la partialité du système dualiste apparaît alors dans toute son immédiateté, toute son éternité. Bien avant que le dualisme devint un système nommé comme tel, sa logique imprégnait la compréhension que se faisaient de la réalité les êtres humains, pourrait-on-dire.

Métadualisme n’évoque pas non plus « au-delà » du dualisme, bien qu’il puisse par certains aspects en donner l’impression. Pour reprendre les propos d’Alexandre dans son étude sur le métadualisme, le préfixe « méta » ne signifie pas « ailleurs ». L’idée d’un « tout » sans séparation suggère que « métadualisme » ne signifie pas « contre le dualisme », mais « point de vue qui à la fois embrasse et dépasse le dualisme ».

Même si notre intention n’est pas de proposer une construction mentale de plus, nous sommes bien conscients que nous ne pouvons faire autrement puisque nous appartenons précisément à l’espèce humaine douée de raison et de discernement. La différence, et elle est de taille, c’est que nous sommes conscients de ce fait. Pour reprendre le sens des néologismes scientifiques évoqué plus haut, le métadualisme serait alors un dualisme qui parlerait du dualisme ; mais comme il s’agirait d’aborder les dualités sous un angle différent que celui proposé par le dualisme, le terme « dualisme » serait impropre pour nommer notre démarche. Celui de « métadualisme » nous serait apparu bien plus adéquat.

 

4. Rectoversion et Métadualisme

La Rectoversion est née d’une expérimentation picturale et plastique. Son champ d’investigation reste la peinture. Elle est recensée comme telle dans l’histoire des mouvements contemporains de la peinture. Elle présente l’énorme avantage de proposer une pratique plastique inédite (peinture rectoversée) apte à générer des questionnements métadualistes.

En nommant ses prolongements par le terme de métadualisme, cela permet de quitter le champ plastique sans pour autant le pervertir. En d’autres termes, cela permet de conserver l’originalité du concept initial de la Rectoversion tout en lui donnant des prolongements dans des domaines qui lui échappent.

 

© Michel De Caso, novembre 2006