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La page rectoversée n°16
 

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citations
Jacques Le Goff, Edgar Morin, Claude Debussy.
remarque
Rectoversion et Transdisciplinarité
I
Edgar Morin
Philippe Contal
Après notre immersion dans le passé des trois
pages rectoversées précédentes, nous voilà
à nouveau au cur de la contemporanéité.
Le thème proposé est l'interdisciplinarité
ou transdisciplinarité.
L'interdisciplinarité est une notion qui est de plus en
plus acceptée, même auprès des scientifiques
qui y étaient naguère totalement opposés. Sans
doute, cette ouverture est-elle due au fait que le maintien de la
spécialisation à outrance a amené un certain
nombre d'aberrations qui font que l'on ne pouvait raisonnablement
continuer à présenter la spécialisation comme
le modèle optimal de recherche. La pensée rectoversée
suppose à bien des égards un minimum d'interdisciplinarité
puisqu'elle se propose notamment de confronter des thèses
apparemment contradictoires et qu'elle considère que de nombreuses
données ne peuvent être désormais comprises
non plus par une approche linéaire, voire rectiligne, mais
par une approche multiple et plurielle.
Pour préciser ma pensée en ce qui concerne l'affiliation
de la Rectoversion à la complexité telle qu'elle
a été définie par Edgar Morin
(1), voici un extrait du livre "Rectoversion, l'issue"
dans lequel j'explique mon point de vue:
«...(...)...un tableau rectoversé comporte
toujours un seul titre et , bien que sa construction soit de type
ternaire, il s'agit bien d'un seul tableau. Pour autant, cette unicité
ne donne pas à la Rectoversion un caractère monolithique.
Même si elle fait voler en éclat l'approche bipolaire
du tableau, elle entre fondamentalement dans le monde de la complexité
où les antagonismes continuent d'exister.
Nous situons cette conception dans la mouvance contemporaine de
la complexité telle que l'a décrite Edgar
Morin. Ce dernier dénonce notamment les lacunes de la
spécialisation scientifique. Nous adhérons bien souvent
à ses thèses et constatons régulièrement
les méfaits de la spécialisation. A voir de trop près,
on en oublie parfois de prendre du recul et on devient incapable
d'avoir une vue d'ensemble. C'est à ce moment là que
des choses évidentes relevant du bon sens peuvent échapper.
Citons Edgar Morin dans un passage où il analyse ce
qu'il appelle le complexe vivant :
" La pensée complexe vise, non pas l'élémentaire
- où tout se fonde sur l'unité simple et la pensée
claire - mais le radical, où apparaissent incertitudes et
antinomies." (2)
"Tout système constitue une unité complexe
comportant diversité et multiplicité, voire antagonisme."
(3)
En tout état de cause, la Rectoversion n'est pas une
fin mais un début.»
(extrait de " Rectoversion, l'issue ", p.338, Ed.ADAP,
2001)
(1) Edgar Morin
est né en 1921 à Paris. Sociologue, philosophe, il
a été entre autres choses Maître de recherche
puis Directeur émérite au CNRS de 1950 à 1989.
Plus tard, il préside l'Agence européenne pour la
culture (Unesco) et devient le co-directeur du centre d'Etudes transdisciplinaires
de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales de France. Il
a créé l'Association pour la Pensée Complexe
(APC) et son leitmotiv est de comprendre la "complexité"
pour restituer à la connaissance sa capacité à
relier.
(2) in " La méthode II ",
Edgar Morin, La vie de la vie, Ed. du Seuil, 1980, p.359
(3) Ibid., p.361
Toujours pour mieux saisir les limites de la spécialisation,
je vous propose maintenant deux opinions sur ce thème. D'abord
et à nouveau celle du sociologue et philosophe Edgar Morin,
qu'on peut considérer comme le spécialiste de la
non-spécialisation et de la pensée complexe.
Il s'agira d'un extrait d'une de ses communications.
Ensuite, celle de Philippe Contal, à travers un long
extrait de son article "Le principe des propriétés
émergentes" qui exprimera son point de vue en partant
d'un constat scientifique. Les convergences avec la pensée
rectoversée seront inattendues.
La présence de ces deux auteurs dans le site artistique
www.rectoversion.com , vont sans doute en surprendre quelques uns.
On aura compris que cette présence est délibérée
et qu'elle participe concrètement à cette pluridisciplinarité
d'où pourrait émerger, à plus ou moins long
terme, la véritable réforme de la pensée que
nous sommes nombreux à provoquer, chacun intervenant dans
sa propre discipline.
MDC
*
L'interdisciplinarité
chez
Edgar Morin
- sur l'histoire:
«...L'histoire, ce n'est pas seulement l'histoire des événements,
des processus économiques, des dominations et des soumissions
des peuples entre eux. C'est aussi les changements dans les conceptions
de la vie, de la mort, des murs, etc...(...)...Il faut que
l'histoire devienne davantage encore multidimensionnelle et réintroduise
les événements qu'elle a voulu chasser pendant un
temps...»
- sur le paradigme de disjonction :
«...Nous savons que le mode de pensée ou de connaissance
parcellaire, compartimenté, monodisciplinaire, quantificateur
nous conduit à une intelligence aveugle, dans la mesure même
où l'aptitude humaine normale à relier les connaissances
s'y trouve sacrifiée au profit de l'aptitude non moins normale
à séparer. Car connaître c'est, dans une boucle
ininterrompue, séparer pour analyser, et relier pour synthétiser
ou complexifier. La prévalence disciplinaire, séparatrice,
nous fait perdre l'aptitude à relier, l'aptitude à
contextualiser, c'est-à-dire à situer une information
ou un savoir dans son contexte naturel. Nous perdons l'aptitude
à globaliser, c'est-à-dire à introduire les
connaissances dans un ensemble plus ou moins organisé. Or
les conditions de toute connaissance pertinente sont justement la
contextualisation, la globalisation. Ces conditions se rappellent
à nous d'autant plus que s'ouvre une ère planétaire
d'inter-solidarité...(...)...Ainsi, vivons-nous sous l'empire
de ce qu'on pourrait appeler un paradigme de disjonction. Or il
est évident que la réforme de pensée ne vise
pas à nous faire annuler nos capacités analytiques
ou séparatrices mais à y adjoindre une pensée
qui relie...(...)...Quand Pascal disait "Je tiens pour impossible
de connaître le tout si je ne connais les parties ni de connaître
les parties si je ne connais le tout ", il soulignait avec
force que la vraie connaissance, c'est une connaissance qui fait
le circuit de la connaissance des parties vers celle du tout et
de celle du tout vers celle des parties...»
- sur la multiplicité :
«...Une deuxième conséquence importante du
point de vue éthique, c'est que la pensée transdisciplinaire
nous incite à l'éthique de la compréhension.
Un être humain est une galaxie; il est non seulement extraordinairement
complexe, mais il possède sa multiplicité intérieure.
Il n'est pas le même à tout moment de son existence;
il n'est pas le même en colère, il n'est pas le même
quand il aime, il n'est pas le même en famille, il n'est pas
le même au bureau etc. Nous sommes des êtres de multiplicité
en quête d'unité et les phénomènes de
dédoublement et de triplement de personnalité, considérés
comme cas pathologiques, sont en fait l'exaspération de ce
qui est absolument normal..."...(...)...»
Edgar Morin
(extraits de sa communication au Congrès International
"Quelle université pour demain? Vers une évolution
transdisciplinaire de l'Université" (Locarno, Suisse,
30 avril-2 mai 1977 ; texte publié dans Motivation, n°24,
1997 et par le Bulletin Interactif du Centre International de Recherches
et d'Etudes Transdisciplinaires' CIRET, n°12, février
1998 (4) )
(4) Voir le
site du Bulletin Interactif du Centre International de Recherches
et d'Etudes Transdisciplinaires (CIRET):
http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/index.htm
*
Voici maintenant l'extrait de l'article de Philippe Contal(5),
qui a eu la gentillesse de m'autoriser à le reproduire
ici.
Le principe des propriétés
émergentes
« J'ai déjà mentionné ce principe apparemment
simple mais dont les conséquences sont très importantes.
Appelé aussi entéléchie (a),
ce principe prend en considération le phénomène
d'apparition d'une nouvelle propriété, suite à
l'assemblage de plusieurs éléments simples. Deux atomes
d'hydrogènes et un atome d'oxygène isolés,
n'ont pas les mêmes propriétés physico-chimiques
que l'eau, pourtant constituée des mêmes atomes.
L'eau, dont la formule chimique est H2O, possède
bien un comportement très différent des éléments
qui la constituent. De la même manière, la molécule
d'eau isolée n'aura pas le même comportement que l'océan.
Emergence et physique nucléaire
La composition de la matière fait donc apparaître
des propriétés différentes selon l'échelle
à laquelle on l'analyse. Ces nouvelles propriétés
sont appelées propriétés émergentes
car elles se manifestent lors de la complexification d'éléments
simples. L'approche cartésienne avait voulu croire en la
réduction en éléments simples, quelle que soit
l'échelle à laquelle on étudie la matière.
Force est de reconnaître aujourd'hui l'impossibilité
de réduire la matière en éléments de
cet ordre. Les atomes sont depuis fort longtemps étudiés
sous forme de champs, intégrant la probabilité d'une
position et surtout une manifestation liée à la manière
dont ils sont analysés. Prenez un photon, particule de lumière.
Celui-ci aura des propriétés typiquement descriptibles
mathématiquement sous forme de particule. Cependant, lorsque
l'on met en oeuvre l'expérience de Young (deux fentes étroites
laissant passer les particules), il apparaît un spectre présentant
des zones claires et des zones d'ombres, explicables uniquement
si l'on interprète la lumière sous forme d'onde. C'est
le phénomène de dualité onde / corpuscule.
Les photons sont à la fois des particules et des ondes électromagnétiques.
De nombreux physiciens et philosophes ont travaillé (b)
sur le sujet pour finir par admettre que les expériences
de physique nucléaire ne pouvaient dissocier ce qui observe
de ce qui est observé : l'il du physicien fait partie
de l'Univers qu'il observe. C'est fort dérangeant pour l'esprit
scientifique qui en est resté à l'objectivité
de l'expérience scientifique, pouvant étudier l'Univers
sans interférer.
Autre phénomène physique très bien décrit
par Stephen Hawking (c), la réversibilité
des expériences. A l'échelle des particules, rien
n'empêche de produire une expérience dans un sens ou
dans un autre. Des particules sont composées dans les accélérateurs
de particules et peuvent parfaitement recréer les particules
initiales. Cependant, à notre échelle, il est évident
que la tasse cassée ne pourra redevenir intacte. Il existe
donc une échelle à partir de laquelle le temps se
manifeste. Il s'agit de la flèche du temps. Le temps serait-il
alors une propriété émergente de notre univers
? La complexité des particules permettrait-elle la création
de cette dimension si importante dans notre quotidien ? (d)
Mais revenons à ce principe des propriétés
émergentes et analysons en les conséquences plus pragmatiques.
Emergence et société
L'effet de foule par exemple, est typiquement compréhensible
par ce principe. Prenez un individu isolé, il y aura rarement
de manifestation de violence. Prenez-le dans un contexte social
tel qu'une guerre et il suffit de se remémorer ce qu'il advint
de l'Europe voici quelques décennies pour comprendre qu'il
peut effectuer des actes parfaitement contraires à ses intérêts
personnels, en l'occurrence sa survie même. La société
dicte des actes. Le corps social si cher à Howard Bloom1,
est un concept dangereux car il procure à la fois des satisfactions
en matière de reconnaissance et d'identité, mais il
génère aussi des comportements aberrants.
Les comportements de foule sont visibles dans toute notre histoire,
des actes de guerre aux violences dans les stades, des tendances
d'achat et effets de mode aux manifestations identitaires. L'Homme
du troisième millénaire voudrait-il échapper
à sa condition d'homme ? Les courants des années 1960
et 1970 en terme de management voulaient que l'homme idéal
soit autonome, indépendant, suffisamment fort pour se libérer
de ses appartenances sociales. Qu'en est-il finalement ?... Rien.
L'Homme du troisième millénaire n'a pas grand-chose
de plus que ses ancêtres, tout au moins sur ce plan. Ce n'est
pas l'ensemble des prothèses technologiques dont nous pouvons
aujourd'hui nous munir qui changent notre état, ni la globalisation
et l'économie galopante.
Conscience et action
Prenons les choses comme elles sont. La compréhension de
nos mécanismes est la seule voie qui permet de nous comprendre.
La Conscience de nos actes est la seule voie de libération.

matérialité
et conscience ne sont pas exclusives l'une de l'autre
...(...)...La quête intérieure est fondamentale, mais
elle n'a de sens que si elle s'accompagne d'une réalisation,
d'une action. Le "lâcher prise" n'a de sens que
si il génère un comportement différent.
Voici donc une clé de la vie. Simple en apparence, elle
requiert cependant une attention soutenue et continue car nous ne
sommes pas habitués à la pratiquer. Tout dans notre
univers semble mettre à part nos deux facettes : l'homme
social, matériel et dépendant d'un environnement et
l'homme spirituel, libre. Un développement personnel ne peut
pourtant ne se concevoir que dans une action sur ces deux plans.
Il ne s'agit pas de deux univers incompatibles, mais seulement de
l'expression de deux réalités complémentaires.
La particule est à la fois une onde et un corpuscule ? L'Homme
est à la fois une âme et un véhicule terrestre.
Oublier une réalité est une erreur. L'ensevelir sous
un monceau de matérialisme rationnel réduit l'Homme
à un être de chair, composé de molécules
et dont la vie n'a plus de sens. La vie ne peut être réduite
à une propriété émergente, comme l'ont
suggérés certains physiologistes et biologistes. Ce
courant de pensée, très prisé dans les années
1980 trouve ses limites face à l'Amour, face la mort. Dans
un tel cadre, il n'y a plus de sens à la Vie et encore moins
à nos vies...(...)...»
Philippe Contal
(a) Le principe
de Lucifer, Howard Bloom, 2001
(b) L'esprit et la matière, Erwin Schrödinger, 1990
(c) Une incertaine réalité, Bernard d'Espagnat, 1987
. Une brève histoire du temps, Stephen
Hawking, 1989
(d) Entre le temps et l'éternité, Ilya Prigogine et
Isabelle Stengers, 1989
. Le Tao de la physique, Fritjof Capra, 1989
(5) Philippe
Contal est né en 1966. Créateur et webmaster de www.cathares.org,
voyage virtuel en Pays Cathare. De formation scientifique (ingénieur
en fabrication mécanique), il se passionne pour la philosophie
et l'histoire.
MDC
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citations
Jacques Le Goff, Edgar Morin, Claude Debussy.
*
remarque :
Je rappelle que « la page rectoversée » est la
chronique multimédia régulière du site www.rectoversion.com.
A ce titre, elle n'exprime que mes propres points de vue et centres
d'intérêts. Ceux-ci, comme la totalité du site
www.rectoversion.com, n'engagent en rien les membres du mouvement
créé en mars 2002, « rectoversion, an 10 de
l'an 10.000 ».
Michel De Caso, webmaster du site www.rectoversion.com
*
LA PAGE RECTOVERSÉE N°16 - Octobre 2002.
LETTRE INTERNET DU SITE WWW.RECTOVERSION.COM
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