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La page rectoversée n°25
 
Plan de l'étude sur Marcel Duchamp, les ready-made et
la peinture :
I/ Le complexe Duchamp (page rectoversée
n°23)
II/ Ready-made et esthétisme (page rectoversée
n°24)
III/ Pérennité de la peinture (page
rectoversée n°25)
Marcel Duchamp,
les ready-made et la peinture
III
Pérennité de la peinture
Le complexe Duchamp semble être enfin en voie de résolution.
Le retour tant attendu de la peinture-peinture est désormais
irrévocable. Non que les peintres et ceux qui aiment la peinture
avaient cesser de travailler ou d'exister mais ils avaient pris
l'habitude de se taire et de faire le dos rond. Aujourd'hui, les
langues se délient et les propos que l'on entend de ci de
là sont des plus vivifiants.
Pour preuve, le dernier numéro de la revue Artension (1)
dans lequel Pierre Souchaud résume parfaitement la situation
dès son éditorial.
« Painting is back : c'est ce qu'on écrit dans
les journaux outre-atlantique depuis quelques temps...Si cette annonce
présage un retour de la peinture-peinture, c'est-à-dire
une réhabilitation de l'uvre comme expression d'une
nécessité intérieure individuelle, nous en
sommes heureux. A vrai dire, nous n'avons jamais cru à sa
disparition, pas plus que nous n'avons cru à la possibilité
d'une disparition de l'artistique dans l'art ou de l'humain dans
l'homme... »(2)
On ne peut qu'être qu'heureux de réentendre cette
fameuse nécessité intérieure chère à
Kandinsky (cf la page rectoversée n°22). Pierre Souchaud
a préparé un dossier qui va dans le même sens
et qui s'intitule A quoi sert la peinture? Il est constitué
d'un entretien entre Pierre Souchaud, l'écrivain Jean-Philippe
Domecq et le peintre Pascal Vinardel (3). Il faut reconnaître
qu'après ces années qui ont interdit à la peinture
tout droit de cité, cet entretien fait plaisir à lire
et je ne peux que vous inviter à le découvrir en totalité
dans la revue Artension. Je vous propose ici quelques extraits qui
traitent plus particulièrement de l'intemporalité
de la peinture et des ready-made.
Ecoutons tout d'abord Pierre Souchaud qui présentent Jean-Philippe
Domecq et Pascal Vinardel :
Pierre Souchaud :
« ... Vous êtes, Jean-Philippe Domecq, écrivain
et auteur de plusieurs ouvrages qui ont déclenché,
il y a une dizaine d'années ce que l'on a appelé la
crise de l'art contemporain. Vous avez été désigné
comme l'ennemi public n°1 de cet art officiel qui, entre autres
extravagances, rejetait la peinture-peinture comme pratique d'arrière-garde.
Vous êtes, Pascal Vinardel, peintre. Vous maintenez avec les
systèmes de reconnaissance une distance très circonspecte.
Votre peinture, très intérieure, très "habitée",
pleine d'une poésie énigmatique, s'élabore
très lentement. Votre récente exposition à
Paris, chez Francis Barlier, après plusieurs années
de retrait dans la campagne, a obtenu un succès considérable,
qui prouve bien que l'intérêt du public pour la peinture
n'est pas mort
»
L'intemporalité picturale
Pierre Souchaud :
«
(...)... Ma question est donc: à quoi sert la
peinture aujourd'hui? ... »
Pascal Vinardel :
«...(...)...La peinture, rudimentaire comme nous, demeure
parfaitement adaptée à cette lenteur. Elle nous permet
aujourd'hui de lutter contre le fondamentalisme technologique qui
prétend soulager la réflexion humaine de ce dont pourtant
elle dépend, c'est-à-dire le temps et l'espace. Malgré
les progrès techniques, l'homme pense et ressent toujours
comme aux premiers temps. La sensation, objet délicat entre
tous, à mi-chemin entre perception et sentiment, et qui existe
bien avant de se muer en peinture, se nourrit et grandit au coeur
même de ce temps et de cet espace, nos seuls biens.»
Jean-Philippe Domecq :
«...(...)... La peinture peut nous rendre la liberté
de trouver notre temps, pour la sensation et pour la pensée
aussi. elle a donc quelque chose à dire de particulièrement
aigu dans le contexte actuel, même si cela ne va pas dans
le sens de la modernité ou de la contemporanéité...»
(Sur la peinture et les nouvelles technologies)
Pierre Souchaud :
« La peinture est-elle toujours de la peinture?»
Pascal Vinardel :
« ...(...)...Entres peintres on sait ce qui est peint et ce
qui ne l'est pas : c'est de l'ordre de l'intuition artisanale. C'est
de l'ordre du métier, de l'expérience sensible, de
la mémoire aussi. Car nous savons ce dont cet outillage s'est
rendu capable, et c'est en effet parce que la peinture a tout au
long de son existence, produit d'assez beaux enfants, que nous pouvons
discerner, aujourd'hui, sa spécificité.»
Jean-Philippe Domecq :
« A propos d'outillage, je n'ai cependant pas envie d'écarter
ce que disent les nouvelles techniques d'images. Je constate seulement
que la peinture, par son caractère rudimentaire, reste, à
côté de toutes les techniques nouvelles qui se sont
multipliées de façon exponentielle, un outil d'une
technicité remarquablement simple et économique, donc
garante d'une immense liberté...(...)...»
Pascal Vinardel :
« Le seul pavillon qui ait tenu le coup à Séville
lors d'une tempête violente, c'est la pavillon japonais, qui
était construit avec des règles de charpente qui dataient
du 11° siècle. Un commentateur disait qu'au fond le seul
pavillon vraiment moderne, c'était celui-là. Platon
admirait la permanence des lois esthétiques de l'Egypte ancienne,
que validaient des millénaires. Or aujourd'hui ce qui a dix
ans d'âge est périmé...»
(Sur l'art conceptuel, l'artiste, les ready-made)
Jean-Philippe Domecq :
« ...(...)... Que la peinture fasse penser, oui, mais elle
ne fait pas que ça, car la pensée qu'elle génère
est une pensée qui échappe à elle-même...
Dans l'art dit conceptuel, l'uvre s'arrête en effet
aux concepts qu'il propose et il n'est ainsi qu'illustration de
l'idée ou de l'intention en amont. L'uvre n'est plus
qu'un détail, une illustration ou une allégorisation
de cette intention et n'apporte guère à celle-ci...(...)..»
Pierre Souchaud :
« Et qui fait l'artiste?»
Jean-Philippe Domecq :
« C'est de moins en moins l'uvre. On parle de plus en
plus des artistes, de leur idée, de leur posture, de moins
en moins des uvres. L'art est toujours maudit, pas l'artiste,
car il a profité du geste duchampien qui frappait de front
la notion d'uvre, pour faire prévaloir celle d'artiste...(...)...»
Pascal Vinardel :
« ...(...)... Dès lors sont nées toutes ces
dérives qui ne font que vérifier leur caractère
d'impasses. Voilà une machine qui tourne à vide depuis
bientôt quarante ans.»
...(...)...
Pierre Souchaud :
« On revient à l'objet de la peinture, à la
question de la représentation?»
Jean-Philippe Domecq :
« L'art du 20° siècle a utilisé aussi la
présentation, avec le geste symbolique du ready-made : je
présente directement l'objet, je le décontextualise,
je le sors de sa valeur d'usage...mais ça ne marche pas,
il n'y a pas de magie, pas de décalage. La preuve, c'est
que ces objets ready-made doivent avoir un cadre, un socle, un environnement
muséal pour forcer l'attention.
L'uvre véritable est celle qui me propose à
l'intérieur d'elle-même une chose qui mime la façon
de porter attention à ce qu'elle capte, une manière
de l'intégrer psychiquement.
L'art du 20° siècle a voulu abolir la frontière
entre l'art et la vie, alors que de tous temps, c'est au contraire
par la distance, par la translation, la symbolisation, que la présence
du monde nous est réellement palpable.»
Je remercie Pierre Souchaud pour son autorisation à reproduire
les extraits ci-dessus. Pour confirmer mes convergences avec les
propos exprimés dans cet entretien, je crois utile de reprendre
en partie un texte que j'avais écrit en 1998, " L'irrationnel
en peinture.»
L'irrationnel en peinture
(4)
La peinture contemporaine est le plus souvent une apologie de la
pensée rationnelle. Le public ne peut saisir son évolution
que par son étude raisonnée. Pour apprécier
l'art contemporain, le raisonnement mental est nécessaire
et la maîtrise de données théoriques est indispensable.
C'est en ce sens que l'approche discursive s'est substituée
à l'approche intuitive. L'intellect joue désormais
le rôle fondamental et une uvre contemporaine orthodoxe
doit d'abord être comprise avant d'être éventuellement
ressentie.
Pour l'heure, bien que ma peinture puisse apparaître comme
hérétique, je ne rejette pas le dogme rationaliste
en vigueur et l'ai assimilé en son temps. Ce que je déplore,
c'est que l'art contemporain refuse délibérément
toute approche irrationnelle. Or, contrairement à l'opinion
répandue, la peinture n'est pas toujours accessible à
la raison.
Son caractère irrationnel me paraît même essentiel.
Les peintres ne sont-ils pas les mages de l'image ? On peut appliquer
à la peinture le terme magique pris dans son sens courant,
non connoté d'occultisme de bas étage et de pratiques
peu recommandables (5). L'aspect irrationnel de la peinture auquel
je fais allusion concerne la peinture en tant que telle qui est,
comme la musique avec le rythme et la mélodie, un langage
proprement universel spécifique à l'espèce
humaine (6).
(
)
Ce caractère de transmission planétaire que possède
l'image est probablement une des raisons qui explique la persistance
de la peinture. Lorsqu'on la croit morte, elle se retourne toujours
dans sa tombe pour renaître sous une forme nouvelle. Combien
de fois a-t-on entendu qu'elle était morte ? Le grand critique
d'art Elie Faure écrivait en 1921 : « Il y a encore,
il y aura encore des peintres, beaucoup de peintres, mais la peinture,
c'est fini.»
La peinture a d'abord survécu à l'invention de la
photographie. Loin de disparaître, elle a au contraire développé
sa spécificité en acquérant son autonomie.
Les peintres surent créer une nouvelle façon de peindre
et commencèrent à relativiser l'inféodation
de la peinture au réel visible. Désormais, le peintre
n'était plus le seul à pouvoir saisir l'instant. Le
photographe avec son appareil pouvait aussi le fixer et offrir au
regard une mémoire imagée au rendu impeccable.
Le cinématographe aurait pu aussi anéantir la peinture,
avec ses photographies qui se meuvent et sont douées de paroles
! En fait, le développement du septième art a permis
aux peintres de pousser plus loin leurs investigations picturales
avec tous les excès dont ils sont capables.
Le même processus d'assimilation puis de retournement de
situation que la peinture a effectué face aux arts photographique
et cinématographique, s'est reproduit avec les images informatiques.
Séduit par les possibilités techniques offertes par
l'informatique, j'avais suivi une formation en "Images de synthèse"(7)
mais avais constaté que la peinture assistée par ordinateur
souffrait d'une matérialité pour le moins limitée,
l'image conçue dans l'écran du moniteur étant
littéralement dématérialisée. Elle brille
par son inconsistance physique et notre besoin de contact avec la
matière picturale se trouve entièrement inassouvi
même quand cette image est reproduite par l'imprimante.
On aurait tort de croire que les images numériques seront
fatales à la peinture. D'ores et déjà, par
la mise à jour de la Rectoversion, opération plastique
applicable sur le support le plus minimal et le plus neutre qui
soit, la feuille de papier, je contribue à la démonstration
qu'il n'en est rien.
Il m'a semblé, en effet, dans un mouvement à la fois
raisonné et intuitif, que l'aventure picturale pouvait continuer
en allant voir de l'autre côté du tableau. Mais c'est
en passant au travers du tableau que j'ai eu la révélation
que la Rectoversion était l'une de ces ouvertures insaisissables
qui font que, tant que l'expression artistique sera présente
en l'homme, la peinture persistera.
(voir les page rectoversée n°16 et n°17 pour la
suite du texte qui concerne spécialement la complexité
telle qu'elle est définie par Edgar Morin ainsi que la transdisciplinarité
qui en découle)
Epilogue
Pour conclure, on peut dire que même si Duchamp s'est toujours
refusé à accorder une valeur esthétique à
ses ready-made, il n'en a pour autant oublié leur caractère
fondateur des nouvelles conception et perception de l'uvre
d'art. Ainsi, lorsqu'Alice Bellony le questionne sur les conséquences
de la banalité des ready-made, celui-ci répond :
Alice Bellony :
« Est-ce parce que ces objets d'une grande banalité
ont été présentés comme des uvres
d'art que le scandale est né ?»
Marcel Duchamp :
« Peut-être. Il est possible que cette ambiguïté
ait été un facteur de provocation important. Il devenait
en effet bien difficile de juger comme on avait l'habitude de le
faire ces objets dans lesquels n'entrait aucune des notions habituelles,
de goût et de savoir-faire, qui d'habitude permettent d'apprécier
une uvre d'art. Pourtant, le concept des ready-made est peut-être
la seule idée vraiment importante à retenir de mon
uvre.»(8)
Malgré les critiques non dissimulées que j'exprime
à l'égard des ready-made, je tiens à renouveler
l'estime que j'éprouve pour Marcel Duchamp en tant que créateur.
Il n'est pas impossible que ce dernier ait d'ailleurs été
dépassé par la mutation artistique engendrée
par ses ready-made, ce qui serait finalement bien compréhensif
puisque cette mutation serait d'autant plus non maîtrisable
qu'elle ne concernerait pas uniquement le champ artistique.
Michel De Caso
Notes
(1) Artension, n°16, mars-avril 2004.
(2) Pierre Souchaud, éditorial, Artension n°16.
(3) Jean-Philippe Domecq a notammment écrit : " Artistes
sans art ", Ed.Esprit, 1994. " Misère de l'art,
essai sur le dernier demi-siècle de création ",
Ed. Calman-Levy, 1999. Pascal Vinardel a exposé essentiellement
à Paris chez Albert Loeb et en Suisse chez François
Distesheim entre 1980 et 1990. Après son exposition à
la FIAC en 1988, présenté par la galeire Distesheim,
il s'est volontairement éloigné du monde des galeries
pendant une quinzaine d'années.
(4) Texte écrit en 1998, paru dans " Rectoversion l'issue
", Michel De Caso, Ed. ADAP, 2001, page 333 à 338.
(5) Par occultisme de bas étage, nous pensons aux différentes
expérimentations paranormales qui, pour beaucoup d'entre
elles, présentent un aspect psychique marqué quand
ce n'est pas sentimental.
(6) Il est consternant de constater que dans l'éducation,
il ne soit pas accordé une place plus importante aux enseignements
artistiques.
(7) A l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs,
en 1986, à Paris.
(8) Extrait de " Marcel Duchamp, Greenwich Village, 10°
rue ", Alice Bellony, Ed. L'Echoppe, 2001. Entretien réalisé
en 1953 par Alice Bellony à l'occasion du cinquantième
anniversaire de la fameuse exposition de l'Armory Show de 1913.
*
citations
Marcel Duchamp 3
*
remarque :
Je rappelle que « la page rectoversée » est la
chronique multimédia régulière du site www.rectoversion.com.
A ce titre, elle n'exprime que mes propres points de vue et centres
d'intérêts. Ceux-ci, comme la totalité du site
www.rectoversion.com, n'engagent en rien les membres du mouvement
créé en mars 2002, « rectoversion, an 10 de
l'an 10.000 ».
A.D.A.P. et Michel De Caso : webmaster-propriétaire-éditeur
du site www.rectoversion.com
Il est précisé que les textes et images du site
www.rectoversion.com ne peuvent être reproduits sans l'autorisation
écrite préalable de Michel De Caso et de l'A.D.A.P.
et ce, pour tous les pays.
*
LA PAGE RECTOVERSÉE N°25 - mars-avril 2004
MARCEL DUCHAMP, LES READY-MADE ET LA PEINTURE.
LETTRE INTERNET DU SITE WWW.RECTOVERSION.COM
PEINTURES, SCULPTURES, ECRITS D'ART CONTEMPORAIN.

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