RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 3 - janvier 2004

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Voyage au cœur du dualisme
par Philippe Contal

Le dualisme peut être compris comme une " doctrine qui, dans un domaine de pensée déterminé, soutient l'existence de deux mondes ou de deux principes irréductibles : par exemple, le dualisme de l'âme et du corps, celui de la nature et de la grâce en théologie, ou encore le dualisme du bien et du mal dans le manichéisme. La pensée humaniste ne peut éviter un certain dualisme dans la mesure où elle affirme l'irréductibilité de l'homme au déter-minisme de la nature et à la toute-puissance de la collectivité. " (1)

Petit voyage…

Le bien et le mal : de Platon à la saga de Tolkien, Le seigneur des anneaux, le dualisme se retrouve dans toute l'histoire de l'humanité.

Pourtant, des hommes sont morts pour conserver leur foi duelle, des guerres ont été déclenchées sur le prétexte de vaincre une croyance dualiste. La plus importante est sans doute la Croisade albigeoise, seule croisade médiévale visant un territoire chrétien, le Languedoc. Mais est-ce la vraie raison de ce massacre si peu enseigné dans nos écoles ?

Depuis l'Antiquité, l'approche dichotomique est utilisée par les penseurs, sans forcément être associée à une religion. Platon, dans ses Dialogues, permet à Socrate de faire progresser l'interlocuteur par des choix progressifs dont chacun cerne un problème de plus en plus près. Cette analyse, premier volet de la dialectique de Platon, est complétée par la synthèse. De même, il existe chez Platon, une théorie des deux mondes : le premier, le monde sensible dans lequel nous vivons, affecté par le changement et la dégradation ; le second est le monde intelligible (qui est l'essence du premier), c'est-à-dire le monde des immuables.

Aristote souhaitait dépasser le dualisme platonicien, ce qui nécessitait que l'essence des choses leur soit immanente. Pour ce faire, Aristote recourt à un autre dualisme entre : la matière (en grec, hyle ; en latin materia) et la forme (en grec eidos / morphé ; en latin forma). Dans la matière, l'essence n'existe qu'en puissance (en grec dynamis ; en latin potentia), elle ne parvient à la réalité (énergéia) que par la forme. Par exemple, la colonne de pierre (l'objet) procède de la forme (idée de la colonne terminée) et de la matière (bloc de pierre brute).
Le néoplatonicien Porphyre (233-304), présente son "arbre", qui rend compte de la coordination des genres et des espèces : la substance se divise en spirituelle et corporelle. Celle-ci (le corps) est inorganique ou organique. L'organique est insensible ou sensible. L'animal (vivant et sensible) est raisonnable ou non… La dichotomie, division logique d'un concept en deux autres, est donc une pratique très ancienne.

En Inde, Le Sâmkhya forme une image dualiste du monde. Les deux principes éternels et incréés du monde sont Purusha, le pur esprit, et Prakriti, la matière. Le Sâmkhya constitue le fondement théorique du Yoga, celui-ci étant la méthode pratique pour accéder au salut.

En Chine, la doctrine Yi King est associée au Livre des Mutations (Yi King). Les deux principes fondamentaux sont le Yang, masculin, solide, clair, actif et le Yin féminin, mou, sombre, passif. C'est par leur interaction réciproque que se trouvent expliquées la création et la transformation de toutes choses.

En Iran, Zarathoustra (en grec, Zoroastre) fonde la religion monothéiste du Ahura Mazda ("le seigneur sage"). D'après la tradition perse, l'apparition de Zarathoustra date de 560 av. J.-C. Zarathoustra décrit le monde comme le lieu du conflit entre deux principes : L'esprit saint, en tant que médiateur entre Mazda et ses créatures, s'oppose à l'esprit du mal. Le dualisme entre les deux établit le processus du monde : " Et au tout début, ces deux esprits étaient jumeaux, et s'appellent, d'après leurs propres noms, le bien et le mal dans la pensée, le discours et l'action. Entre les deux, ceux qui agissent bien ont accompli le choix juste".

Descartes invente un nouveau dualisme radical : en dehors de l'être incréé et parfait de Dieu, il y a dans le monde les deux domaines séparés des corps étendus et de l'âme qui pense, c'est-à-dire qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent et la res extensa, qui représente le monde des choses extérieures. Ces derniers sont en outre rationnels parce que quantifiables et mathématisables.

A ce dualisme du monde spirituel et matériel correspond le désenchantement du monde physique entraîné par les progrès de la science. L'homme participe des deux mondes. Et nous pourrions citer bien d'autres dualismes à travers le monde…

Un éternel combat ?

Malgré le fait que le dualisme fasse partie de l'histoire humaine, celui-ci a très souvent été combattu dès lors qu'il prenait une forme doctrinale. Certains jugent que la nature humaine tend vers l'unité(2), ce qui expliquerait cette réaction négative à l'égard du dualisme. La croyance en l'immortalité est typique des dualistes. Peut-être est-ce une explication de l'acharnement avec lequel ils sont combattus ? "Tout dualisme laisse un malaise, l'esprit étant avide d'unité", peut-on lire dans une encyclopédie.(3)

Certes, la vision dualiste peut choquer car elle implique souvent un renoncement à l'univers matériel, mais cela explique-t-il la violence avec laquelle elle est combattue ? Peu de croyances semblent attirer autant de haine et de violence mais notre regard est immanquablement déformé par notre culture occidentale. De plus, le dualisme peut prendre plusieurs formes. L'opposition du monde matériel et du monde spirituel est très différente de la dualité du yin et du yang. Le terme est donc porteur de plusieurs sens. Notre science moderne n'échappe cependant pas au dualisme. La dualité onde-corpuscule, présente la lumière comme des ondes électromagnétiques mais aussi comme des particules, les photons. Les atomes sont composés de noyaux chargés positivement et d'électrons chargés négativement.

© Philippe Contal

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(1) Dictionnaire de philosophie, Gérard Durozoi et André Roussel, éditions Nathan, collection Les Références, 1988.
(2) Le dualisme chez Platon, les Gnostiques et les Manichéens, Simone Pétrement, PUF, 1947
(3) http://fr.encyclopedia.yahoo.com/

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