On
sait que la Rectoversion questionne la métadualité
comprise comme le dépassement de la dualité. Comme
nous l'avions indiqué dans notre précédent
article (voir le numéro 2), nous proposons de parcourir ce
principe à travers différentes traditions métaphysiques
(Kabbale, Christianisme, soufisme, chamanisme, taoïsme, hindouisme,
zen, etc
). Notre première intervention traitera spécialement
de la métadualité dans la Kabbale. Pour répondre
aux nécessités du Journal, seul un extrait de cette
étude vous est proposé. L'extrait proposé est
le chapitre 4 intitulé " l'arbre séfirotique
". La totalité de notre étude devrait faire plus
tard l'objet d'une édition spécifique.
L'arbre
séfirotique
Le
schéma fondamental du monde repose sur trois colonnes verticales
et parallèles par lesquelles se déploie dans les deux
sens l'énergie de l'infini, l'or en sof (un des principaux
thèmes de la mystique juive est qu'il existe une lumière
primordiale, "Or en sof", la lumière Infinie).
Les deux colonnes de droite et de gauche sont l'écorce, la
partie visible et double de la manifestation, l'existence, la périphérie
du cercle, tandis que la colonne centrale est la sève, partie
cachée et unificatrice de l'arbre, la vie, le point du cercle.
Le
côté droit, colonne de générosité
(héssèd), exprime " les forces centripètes
d'expansion, extension, expiration, ouverture, d'entropie. Il est
le "oui " du monde, le " je fais ce que je veux "
, mouvement dynamique de liberté, le cerveau droit intuitif,
l'intériorité, le principe d'assimilation, d'identification,
de communion, d'intimité symbolisés par l'inceste
entre le frère et la sur. Il correspond à l'élément
eau qui prend toutes les formes de manière indifférenciée
et qui déborde lorsqu'elle n'est pas équilibrée
par le côté gauche. "(1)
Ce caractère " eau " l'associe au principe Yin
sombre, la substance (prakriti hindoue) et est représentée
par une ligne courbe ou ondulée qui fait "tourner le
monde".
Le
côté gauche, colonne de rigueur, justice (din), exprime
les forces centrifuges de " rétention, inspiration du
souffle, restriction, limitation, détermination, défini-tion,
fermeture, retenue, sus-pension qui empêchent le débordement
de héssèd. Il est le "non" du monde, le
" je fais ce que je dois " , mouvement statique de la
contrainte, le cerveau gauche analytique, l'extériorité,
principe de séparation, de rejet, d'altérité,
de différentiation, de distinction. "(2) Il correspond
à l'élément "terre" qui organise
et qui délimite.
Ce caractère terre l'associe au principe Yang lumineux, l'essence
(purusha hindou) et est représenté par le carré
ou la ligne orthogonale qui rectifie le monde.
La
colonne centrale dite de l'harmonie (tiférèt) est
l'axe de rahamim (compassion matriciante) et exprime la relation
d'équilibre et d'égale distance entre les deux colonnes
latérales. Elle est le rythme interne de la vie, l'éternelle
jeunesse, le souffle vital, l'esprit Saint (rouah hagodech), le
chemin de lumière, la porte étroite, la voie du milieu,
le rapport immédiat de l'or en sof, l'ici et maintenant,
le mi-oui mi-non, l'existence totale, lieu de shékinah, l'instant
présent, représenté soit par le point zéro,
soit par la ligne droite verticale.
Il
est crucial de préciser que les trois colonnes coexistent
simultanément : tiférèt n'est pas une conséquence
chronologique et ontologique du rapport din / héssèd,
une résultante synthétique qui surviendrait après-coup.
Ils expriment en même temps et respectivement l'aspect interne
et externe, ésotérique et exotérique de la
manifestation. On ne peut séparer l'écorce de la sève
d'un arbre et vice-versa.
Ainsi, sur les deux côtés de l'Ache d'Alliance (coffret
contenant la présence divine dans le Saint des Saints), se
trouvaient deux barres de transport parallèles qu'il étaient
interdit d'enlever. Selon l'échelle de Jacob, symbole éminent
du schéma fondamen-tal, les traverses horizontales, correspondants
à tiférèt et permettant soit de monter soit
de descendre, s'appuient simultanément sur les deux traverses
verticales (din et héssèd). C'est en fait l'homme
qui, en se situant entre ces deux colonnes, " qui sont les
supports du monde et son propre support, réalise ainsi l'axe
central, se faisant alors lui-même colonne creuse dans laquelle
pourra circuler l'énergie l'or en sof "(3) , et par
laquelle il pénétrera dans la shékina en deveqout
comme il pénétrait dans le Temple de Jérusalem
dont la porte d'entrée était soutenue de part et d'autre
par deux colonnes : Boaz et Yakhin. C'est pourquoi les trois colonnes
sont appelées " balance (itqalu) posée sur rien
" (4).
L'erreur
fondamentale consiste en la séparation de l'axe central d'avec
les deux axes collatéraux et c'est cette erreur que commit
Adam en " séparant les fruits de l'arbre ", l'âme
de la matière, le corps de l'esprit, le ciel de la terre.
Ainsi, du rapport ternaire qui est unité réelle de
l'Infini, l'homme chute dans le rapport duel du fini et de la forme.
Sans soutient, sans supports internes, il est emprisonné
dans l'écorce du monde, vacillant inlassablement entre rigueur
et générosité, justice et amour, attraction
et répulsion, "moi-néant" et " moi-idéal
"(5), à la recherche perpétuelle d'un autre qui
serait lui-même et qu'il ne peut atteindre.
L'or
en sof se décline, se diffracte en suivant ce schéma
par dix sefirots : éléments, expressions, attributs
fondamentaux qui balisent sa montée vers l'Infini et sa descente
vers le monde d'en bas. Ces écorces cachent tout en révélant
simultanément sa splendeur. Chaque sefira est à la
fois féminine et masculine en ce qu'elle la donne, qu'elle
la retransmet aux autres. L'arbre séfirotique n'est pas un
symbole clos mais opératif, dynamique, circulatoire. "
Est mort celui qui ne transmet plus, qui ne fait que recevoir et
qui explose littéralement (brisure des vases) "(6).
En
donnant, l'homme continue de recevoir : c'est la bénédiction
divine. Etre béni, c'est avoir réalisé les
dix sefirots dans leur perfection en distinguant dans toute manifestation
ce qui relève de la rigueur et de la générosité
(din/héssèd), et en faisant tsimtsoum en son esprit.
Dans cette attitude du juste (tsadiq), l'homme devient l'Adam Qadmon
primordial qui unit le ciel et la terre. En effet, les trois axes
se réunissent en haut dans la sefira kéter (la couronne)
qui est le pôle céleste et en bas dan la sefira malkhout
(le royaume) qui est le pôle terrestre. En se faisant trois
en un, part l'action du meqoubal, la présence divine se manifeste.
Correspondances
avec la symbolique rectoversée
Si l'on établit des correspondances entre cette configuration
séfirotique à trois colonnes et la construction rectoversée,
on sera surpris de constater combien les symboliques des colonnes
de droite et de gauche correspondent aux symboliques respectives
des verso et recto virtuels de la Rectoversion. Ceux qui connaissent
la symbolique rectoversé remarqueront à juste titre
que celle-ci associe le recto virtuel à la ligne rectiligne
(droite) tandis que le verso virtuel est associé à
la ligne curviligne (gauche).
C'est
pourquoi il importe de préciser que la triple configuration
séfirotique est envisagée depuis le point de vue de
l'homme, placé en face comme devant un miroir, si bien que
ce qui est à droite pour lui est à gauche d'Elohim.
Ainsi, la colonne dite de gauche est en fait la colonne de droite
et la colonne dite de droite est en fait la colonne de gauche, puisque
l'arbre séfirotique n'est pas d'origine humaine mais divine.
Si l'on tient compte de ce fait, les correspondances avec la Rectoversion
en sont d'autant plus étonnantes.
©
Alexandre L'Hôpital-Navarre
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(1) Marc-Alain Ouaknin, " Les mystères de la Kabbale
" , Ed. Assouline, 2000.
(2) Ibid.
(3)Ibid.
(4) Cité par M.A.Ouaknin, Ibid.
(5) Fabrice Bianchi
(6) Marc-Alain Ouaknin, Ibid.
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