Rectoversion et Physique Quantique par Michel De Caso

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Stéphane Lupasco & Basarab Nicolescu

Le Tiers Inclus chez Stéphane Lupasco

Pour ceux qui ne connaissent pas Stéphane Lupasco (1900-1988), il est considéré comme le premier philosophe à avoir une vision du monde qui tient compte des données de la physique quantique. Il a écrit une quinzaine d'ouvrages dont le plus connu est Les Trois Matières (1960). Voici quelques extraits de son livre, L'énergie et la matière psychique, Edition Le Rocher, 1987, - première édition parue en 1974 chez Julliard - )

«...Avec le XX° siècle, dès son début, exactement en 1900, commence une suite de révélations énergétiques et d'inductions, qui vont ou du moins qui devraient bouleverser de fond en comble la science dans sa logique toujours inébranlablement classique. La crise de l'entendement, le divorce entre la pensée et l'expérience vont s'aggravant...»
("L'énergie et la matière psychique", p. 34, Stéphane Lupasco)

« L'observation des faits vient de nous montrer qu'il existe un X, un quid, qu'on appelle l'énergie, qui n'est qu'une notion empirique et commode pour rassembler le caractère dynamique dont ils sont porteurs. La dynamique de ces faits constitue un comportement impliquant un antagonisme, qui se manifeste notamment par un phénomène d'attraction et un phénomène de répulsion - ou d'association et de dissociation - simultanés. D'autre part, ces faits énergétiques, ces comportements dynamiques témoignent d'une propriété d'homogénéisation et d'une propriété d'hétérogénéisation contradictoires. Je dis contradictoires, car elles coexistent dans la même énergie...»
(Ibidem, p.65)

« Ainsi, une causalité d'antagonisme, comme je l'ai appelée dans mes travaux, apparaît inhérente à tout phénomène énergétique, c'est-à-dire à n'importe quel fait. Rien ne se passe dans le monde, comme on l'a vu, sans le passage d'un dynamisme, d'un système dynamique, d'un système de système, d'un état de potentialité à un état d'actualisation, mais rien ne se passe davantage dans le monde sans le passage, par là même, d'un dynamisme, d'un système dynamique, d'un système de système antagoniste, d'un état d'actualisation à un état de potentialisation. Il y a ainsi toujours deux ordres antagonistes qui agissent l'un sur l'autre, l'un potentialisant l'autre par son actualisation...(...)...N'importe quel fait, dans sa constitution dynamique, ne demeure pas ou ne se réalise pas tout seul dans l'univers...»
(Ibidem, p.72)

« Cette causalité d'antagonisme ajoute à la causalité classique unilatérale, linéaire, en surface, unidimensionnelle, glissant, pour ainsi dire, d'un fait à l'autre, une deuxième causalité, en profondeur, des faits que cette causalité classique perturbe et potentialise par son antagonisme et que la science actuelle ignore. A toute suite causale correspond une suite causale antagoniste, inhérente toutes deux à la nature même de l'énergie qui les constitue....»
(Ibidem, p.73)

Lupasco par Basarab Nicolescu

Un livre récent a été consacré à Lupasco, écrit sous la direction de Horia Badescu et Basarab Nicolescu. Il s'agit de "Stéphane Lupasco", L'homme et l'œuvre, Edition Du Rocher, Collection Transdisciplinarité, 1999. Dans ce livre, Basarab Nicolescu propose un long texte intitulé "Le tiers inclus, de la Physique quantique à l'ontologie". J'ai découvert très récemment ce texte avec un profond étonnement car, que ce soit lorsqu'il développe la philosophie de Lupasco et le Principe du Tiers Inclus ou lorsqu'il explique sa propre notion de "Niveaux de Réalité", Nicolescu rejoint souvent la pensée rectoversée. Le mieux est de vous citer quelques exemples de son texte tout en vous précisant que ce texte est accessible sur le web : lire le texte complet.

Voici ce qu'écrit Nicolescu au sujet du Principe du Tiers Inclus de Lupasco :

« Le fameux état T ("T" du "Tiers inclus") fait son apparition à la page 10 du Principe d'antagonisme. Il est défini comme un état "ni actuel ni potentiel". Le mot "état" fait référence aux trois principes lupasciens - l'actualisation A, la potentialisation P et le tiers inclus T - sous-jacents au "principe d'antagonisme". Sur le plan formel, e et non-e ont ainsi trois indices : A, P, et T, ce qui permet à Lupasco de définir ses "conjonctions contradictionnelles" ou quanta logiques, faisant intervenir six termes logiques indexés : l'actualisation de e est associée à la potentialisation de non-e, l'actualisation de non-e est associée à la potentialisation de e et le tiers inclus de e est, en même temps, le tiers inclus de non-e. Cette dernière conjonction montre la situation particulière du tiers inclus. Ce tiers est un tiers unificateur : il unifie e et non-e. Nous verrons plus loin le sens profond de cette unification non-fusionnelle qu'il est impossible de comprendre sans faire appel à la notion de "niveaux de Réalité". »
(Basarab Nicolescu, "Stéphane Lupasco", L'homme et l'œuvre, p.116-117)

« Les trois quanta logiques lupasciens sont directement inspirés par la physique quantique. Ils remplacent les deux conjonctions de la logique classique, faisant intervenir quatre termes logiques indexés : si e est "vrai", non-e doit être "faux" et si e est "faux", non-e doit être "vrai" .
On comprend ainsi, si on fait l'effort de lire avec attention les onze premières pages du Principe d'antagonisme, que Lupasco ne rejette point le principe de non-contradiction : il élargit son domaine de validité, tout comme la physique quantique a un domaine de validité plus large que la physique classique. Mais la question cruciale persiste : comment peut-on concevoir un tiers unificateur de e et de non-e ?...»
(Ibidem, p116-117)

« Le scandale intellectuel provoqué par la mécanique quantique consiste dans le fait que les couples de contradictoires qu'elle a mis en évidence sont effectivement mutuellement contradictoires quand ils sont analysés à travers la grille de lecture de la logique classique. Cette logique est fondée sur trois axiomes :
1. L'axiome d'identité : A est A.
2. L'axiome de non-contradiction : A n'est pas non-A.
3. L'axiome du tiers exclu : il n'existe pas un troisième terme T (T de "tiers inclus") qui est à la fois A et non-A.»
(Ibidem, p.127)

 

Les niveaux de Réalité

Dans le même texte, Nicolescu présente sa notion des niveaux de Réalité qui est indissociable de celle du Principe lupascien du Tiers Inclus :

« Un peu après 1977, après un long séjour fort stimulant à Lawrence Berkeley Laboratory, j'ai commencé à réaliser que l'impact majeur culturel de la révolution quantique était certainement la remise en cause du dogme philosophique contemporain de l'existence d'un seul niveau de Réalité. Dans une série d'articles parus dans la revue 3° Millénaire, revue à laquelle Lupasco collaborait lui aussi, j'ai formulé la notion de "niveaux de réalité", qui trouvera sa formulation plénière en 1985, dans mon livre Nous, la particule et le monde...»
(Ibidem, p.124-125)

« Il faut entendre par niveau de Réalité un ensemble de système invariant à l'action d'un nombre de lois générales : par exemple, les entités quantiques soumises aux lois quantiques, lesquelles sont en rupture radicale avec les lois du monde macrophysique. C'est dire que deux niveaux de Réalité sont différents si, en passant de l'un à l'autre, il y a rupture des concepts fondamentaux (comme par exemple, la causalité)...(...)...La discontinuité qui s'est manifestée dans le monde quantique se manifeste aussi dans la structure des niveaux de Réalité. Cela n'empêche pas les deux mondes de coexister. La preuve : notre propre existence. Nos corps sont à la fois une structure macrophysique et une structure quantique...»
(Ibidem, p.126)

« Ce fut le mérite historique de Lupasco d'avoir montré que la logique du tiers inclus est une véritable logique, formalisable et formalisée, multivalente (à trois valeurs : A, non-A et T) et non-contradictoire. Lupasco avait eu raison trop tôt. L'absence de la notion de "niveaux de Réalité" dans sa philosophie en obscurcissait le contenu. Beaucoup ont cru que la logique de Lupasco violait le principe de non-contradiction - d'où le nom, un peu malheureux, de "logique de la contradiction" - et qu'elle comportait le risque de glissements sémantiques sans fin. De plus, la peur viscérale d'introduire la notion de "tiers inclus", avec ses résonances magiques, n'a fait qu'augmenter la méfiance à l'égard d'une telle logique. La compréhension de l'axiome du tiers inclus - il existe un troisième terme T qui est à la fois A et non-A - s'éclaire complètement lorsque la notion de "niveaux de réalité" est introduite...»
(Ibidem, p.128-129)
Basarab Nicolescu, Physicien théoricien au CNRS, Président du CIRET

 

 

Tiers Inclus et Rectoversion

Les différents données que l'on vient d'examiner peuvent déjà nous permettre d'entrevoir les correspondances qui vont exister entre la Rectoversion et la Physique Quantique telle qu'elle est proposée par Lupasco et Nicolescu. Un premier point commun concerne donc la remise en cause du principe classique du Tiers Exclu. Dans le domaine de la Logique, on sait que le principe du Tiers Exclu, qui s'appelle aussi principe du milieu exclu, doit son origine à Aristote : « Il n'est pas possible...(...)...qu'il y ait aucun intermédiaire entre des énoncés contradictoires : il faut nécessairement ou affirmer, ou nier un seul prédicat, quel qu'il soit, d'un seul sujet » (Aristote, La Métaphysique).

En Logique classique, le principe du tiers exclu postule donc que de deux propositions contradictoires, l'une est vraie et l'autre fausse et réciproquement. Selon ce principe, dans une opposition, l'un des termes est ou bien A ou bien non A. Il n'y a pas de tiers.

Chez Aristote, en plus de ce Principe du Tiers Exclu, on retrouve aussi le principe de non-contradiction : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps au sujet et sous le même rapport .»(Aristote, La Métaphysique), ainsi que le principe d'identité : « Se demander pourquoi une chose est elle-même, c'est enquêter dans le vide parce que l'existence d'une chose doit être claire. Ainsi, le fait qu'une chose est elle-même est la seule réponse et la seule cause dans tous les cas...» (Ibidem).

Mais c'est surtout le principe du tiers exclu que la logique lupascienne comme la Rectoversion remettent en cause. En effet, pour ce qui concerne la Rectoversion proprement dite, dans l'opposition du recto et du verso, si le recto peut être considéré comme le premier terme et le verso le second, la percée est bien un troisième terme. Or, le principe du tiers exclu, comme son nom l'indique, stipule qu'il n'est pas nécessaire de faire intervenir un troisième élément dans une relation d'opposition de deux termes. Dit d'une autre façon, le principe du tiers exclu sous-entend une relation contradictoire à deux termes, c'est-à-dire binaire, tandis que la Rectoversion propose une relation de trois termes, c'est-à-dire ternaire.

Si la proposition rectoversée avait fonctionné selon le principe du tiers exclu, je n'aurais pas été obligé de créer le néologisme "Rectoversion" car la peinture rectoversée n'aurait alors été ni plus ni moins qu'une peinture recto-verso. On comprend aisément que ce soit l'introduction de ce troisième élément qui soit le plus innovant car il repose sur un rapport contradictoire ternaire et sort du schéma dualiste habituel. J'ai déjà dénoncé ce diktat dualiste dans "Rectoversion, l'issue", dans le paragraphe "la partialité dualiste": « Mais d'où peut bien venir ce diktat dualiste et comment se fait-il que, malgré ses limites, il reste toujours d'actualité?...(...)...Nous ne nions pas que des forces antagonistes bipolaires soient à la base de toutes choses. ce que nous dénonçons, c'est le fait d'en privilégier une au détriment de l'autre alors que le juste équilibre correspondant à la formule traditionnelle chinoise, le juste milieu, nous paraît être l'objectif à poursuivre. Pour ce faire, nous proposons d'abord de dénoncer le nœud gordien de notre monde moderne et contemporain qui a consiste à museler et à dévaloriser toutes les valeurs associées au verso.» ("Rectoversion, l'issue", Michel De Caso, Ed.ADAP, 2001, la partialité dualiste, p.28-29)


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