Table ronde sur la Rectoversion
Maison de Gascogne, Auch

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Questions de l'auditoire et discussion libre (suite et fin)

Auditeur 4 : Il me semble qu’il y a quelque chose qui est sous-jacent, à la fois l’idée de ce support conceptuel dont vous avez parlé, de l’aspect dépassement de cette vision dualiste, binaire des choses, et ce qui me paraît sous-jacent, c’est le doute qu’introduit l’ouverture. On est là, on voit quelque chose qui apparaît d’abord plat, puis tout d’un coup, on voit la trouée. Cette trouée, elle invite à aller voir ce qui s’y passe, et on la voit pas de suite, d’ailleurs, la trouée. Et là, je pense qu’on a quelque chose qui est fondamental dans l’histoire de l’humanité, c’est l’introduction du doute, du doute méthodologique, pour ne pas rester sur la première impression, sur la première prise de position, sur la première réaction, qui fait qu’on va aller voir un peu ce qui se passe derrière, et faire tout un chemin, y compris introspectif effectivement comme vous venez de le dire. Il me semble que ce concept est vraiment un concept philosophique, puis il est pratique aussi, c’est un outil également, car il permet de faire quelque chose, mais je crois qu’il pose ce problème.

MDC : Philosophiquement, je crois qu’on peut dire qu’il présente l’énorme avantage d’être adogmatique.

Auditeur 4 : Tout à fait et aussi, cette introduction du doute, même s’il n’est que provisoire.

MDC : Depuis le début de la discussion, vos remarques sont toutes positives mais y en aurait-il parmi vous qui n’aiment pas la Rectoversion, ou qui n’apprécient pas ?

Auditrice 2 : En découvrant l’exposition la première fois, je me suis dit « j’accroche pas ». Mais ça va être très intéressant, après vous avoir entendu, de se balader, en vous ayant entendu, et de voir, parce que dire « j’aime » ou « j’aime pas » ...

MDC : Oui, c’est un peu une petite provocation ou une boutade.

Auditrice 2 : Oui mais souvent les gens ils réagissent comme ça.

FB : Moi la première fois que je l’ai vu peindre comme ça, je me suis dit, bon … d’accord … !

MDC : Le problème que j’ai eu dans les années 90, j’ai eu comme une illumination, vous vous souvenez, pour ceux qui ont un certain âge, le commissaire Bourrel dans la série TV « les cinq dernières minutes », « mais bon Dieu, c’est bien sûr, pourquoi tu n’y as pas pensé plus tôt ? », alors je me suis dit « tu deviens fou », je pensais perdre la raison, et je ne suis pas devenu fou.

Auditrice 1 : Moi, ça m’a plu parce que pour une fois, le questionnement n’était pas triste. J’aime bien être désorientée, mais j’aime pas être désorientée dans le drame, et là, je trouve que c’est tonique, plein d’énergie, voilà. Ça, ça me plaît !

MDC : Quoiqu’il y a toujours un côté pessimiste.

Auditrice 1 : Oui mais bon, on y reste pas, on n’est pas obligé d’y rester.

FB : On en fait quelque chose.

Auditrice 1 : On en fait quelque chose, il est juste là pour montrer justement qu'il n'y a pas que ça alors que souvent, le questionnement, il est imposé de façon dramatique.

MDC : C’est l’anecdote dont je vous avais parlé : dans un quartier difficile d’une grande ville française, il avait été décidé de placer une sculpture sur une place publique de ce quartier difficile pour « éduquer » par l’art nos jeunes garnements, et la sculpture en question qui avait été choisie par des instances officielles était une voiture accidentée. Lorsque les jeunes découvrent cette sculpture sur la place, ils en rigolent. Ils disent, on est tous des artistes. Il ne faut pas être surpris que la sculpture en question ait été vandalisée. Alors, on va en mettre une autre, en métal spécial résistant qui va coûter une fortune, c’est sans limite, l’intellectualisme est sans limite.

FB : Ils ont marqué dessus, « attention œuvre d’art, ne pas toucher ».

MDC : Tout ça pour dire que c’est vrai qu l’art contemporain officiel, depuis pas mal de temps, a besoin d’œuvres qui décrivent, qui décrivent le monde, et comme c’est souvent horrible ou difficile, leurs œuvres véhiculent des sensations difficiles ou horribles. C’est pas toujours le cas mais en ce moment, c’est encore le choix qui est fait.

Auditrice 5 : Comment vivez-vous la dualité comme quand vous avez peint à deux le tableau, cet après-midi, puisque chacun peint une chose différente ?

MO : Là, c’était uniquement une expérience ponctuelle, on s’est exprimé chacun de son côté mais moi, de la Rectoversion, je n’en ai aucune approche sinon le fait de l’aimer et sans encore vraiment la saisir, mais un jour j’y viendrai. Pour ce tableau, j’ai peint d’un côté, j’ai fait un peu mon style à moi. Mais pour Michel De Caso et toutes les personnes qui sont là, ils peignent un tableau, le recto et le verso.

Auditrice 2 : Et vous peignez souvent ensemble à deux, comme cela ?

MO : Non, on le fait lorsqu’il y a, comme ici, des expositions, pour animer un petit peu, pour préparer un petit forum.

MDC : C’est pour attirer la télévision mais ils ne veulent pas venir, c’est dommage car c’est très visuel, comme performance. On fait des efforts mais comme on est maladroit, on y arrive pas !

FB : C’est déjà un rapprochement de deux mondes, voyez, unifié par la percée.

Auditrice 2 : Vous peignez chacun d’un côté ou bien vous arrivez ensuite à vous promener dans l’œuvre de l’autre, c’est une autre histoire, vous marchez dans le territoire de l’autre.

MO : Chacun s’exprime selon son style.

Auditeur 3 : On pourrait aussi concevoir que l’ouvrage n’étant jamais terminé, le voyeur peut devenir auteur de l’ouvrage et un autre voyeur venir par derrière aussi, et qu’il y ait un continuum sans fin. Que j’arrive et que je me dise, A a commencé ceci, B va continuer derrière, et ainsi de suite pour C.

FB : On pourrait mettre à mon avis une petite règle de régulation, c’est qu’on puisse pas modifier plus de vingt pour cent de la surface déjà peinte parce que sinon, ça va être la négation du premier artiste qui a commencé. L’idée est ouverte.

Auditeur 3 : Si vous commencez à mettre un interdit !

FB : Oui mais pour la meilleure des causes !

MDC : C’est vrai qu’il y a une grande tradition humaine qui consiste à vouloir effacer les traces qu’il y avait avant soi.

Auditeur 3 : « Je suis pas d’accord avec toi, et ces deux là, c’est deux zozos, moi j’ai plus compris qu’eux, alors, je vais modifier… »

FB : Y compris, on peut alors jusqu’à la destruction d’œuvres, « c’est moi qui peint mieux et qui ai saisi l’air du temps alors je vais détruire ce que lui a fait… »,

Auditrice 2 : Ceci dit, l’idée de votre concept est géniale.

MDC : Il est intéressant que l’on soit cinq car on est tous différent. Fabrice, a une formation psychanalytique, Alexandre, il me semble que c’est l’approche métaphysique qui te séduit, la recherche sur toutes les traditions, Jean-Michel, est très rationnel, et moi j’ y suis venu en tant que peintre ; quant à toi, Michel, tu n’as pas encore fait de rectoversion proprement dite.

MO : J’y arrive !

MDC : Voilà, on vous remercie de votre présence et de votre participation et on peut clore cette table ronde.

© ADAP & mouvement rectoversion 2007

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