Table ronde sur la Rectoversion
Maison de Gascogne, Auch

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Questions de l'auditoire et discussion libre (suite)

Auditrice 2 : Vos sujets, c’est ce que je vois, sont souvent mystiques, et je pense que cette peinture s’appuie sur un mysticisme, c’est excessivement important, non ?

MDC : Non, ça c’est mon style, mais on peut faire hyperréalisme, surréalisme, etc., tout peut se faire en rectoversion.

FB : C’est pour ça que je pense que c’est un support-concept, il peut servir à d’autres qui n’expriment pas les mêmes choses.

MDC : On me dit « ta peinture, elle est mystique », oui, j’ai peut-être en moi, en autres choses, ce côté-là, mais en même temps, je suis très rationnel, c’est pourquoi ça me convient, c’est mon style, c’est pas lié à la Rectoversion.

Auditrice 2 : On peut pas employer n’importe quel sujet, il faut un sujet riche qui vous permette de progresser dans la démarche.

MDC : Pas nécessairement. J’ai fait travailler des enfants, lors d’interventions dans des écoles, avec le thème rectoversion, ils ont fait sur des feuilles de papier des peintures rectoversées, ça a marché d’ailleurs avec les enfants, vous vous en doutez. Ils pouvaient faire d’un côte quand ils pleurent, puis l’autre côté quand ils rient et ils faisaient une percée à un endroit. Ce n’était ni mystique, ni spirituel, c’est très simple.

FB : On pourrait dire aussi les choses autrement, c’est pas parce qu’on dépasse la dualité qu’on devient mystique, on peut dépasser la dualité pour simplement ouvrir une porte, ouvrir une fenêtre sans que ça développe ou débouche sur quelque chose de mystique. Que ça renvoie à l’interrogation humaine et au dépassement, oui, à l’intériorité qui se dépasse, une ouverture, peut-être mais voilà, on peut proposer un dépassement qui n’est pas forcément une porte vers le ciel.

MDC : Puis de toute façon, ça dépasse rien du tout. Si ça dépassait la dualité, je ne serais pas là. Moi le premier, je n’ai rien dépassé du tout et suis à ce niveau comme tout le monde. L’intérêt simple que ça a, c’est que c’est un objet peint, un tableau, qui aide au questionnement sur ce fameux dualisme qui s’avère aujourd’hui un peu désormais insuffisant pour comprendre le monde tel qu’il est. Mais la Rectoversion, ce n’est pas une voie spirituelle, c’est une façon de peindre qui, modestement, peut aider à saisir les insuffisances du dualisme. En soi, ça dépasse rien du tout, ça reste là, ce n’est qu’un tableau, ça ne reste qu’un tableau, même si il y a des faces percées, c’est un tableau.

Auditrice 2 : Est-ce que vous pouvez revenir sur ce qui vous a conduit petit à petit à ça ? Comment vous avez évolué ? Quand on peint, on se pose beaucoup de questions, qui ne sont pas techniques, qui sont existentielles, on va dire, est-ce que vous avez vécu ça, pas comme une issue, mais, disons, comme une porte qui s’ouvre ?

MDC : C’était dans les années 90, je faisais des monofaces et comme j’ai une formation d’arts plastiques, à l’Université à Paris, j’ai connu toute l’approche art plastique des œuvres d’art avec les tableaux-sculptures, tableaux-reliefs, les tableaux-objets, etc., j’ai travaillé tout ça et j’ai passé plus de dix ans à étudier l’art contemporain, c’est-à-dire non pas qu’intellectuellement mais aussi à pratiquer tout ce qui avait pu être fait dans le domaine de l’objet, je l’ai pratiqué. Il m’a fallu dix ans pour faire la boucle, pour aboutir à la Rectoversion, et maintenant je ne fais que ça depuis quinze ans, parce qu’en partant du tableau monoface, j’ai placé des pattes métalliques derrière de façon qu’une fois le tableau accroché au mur, un espace puisse apparaître entre le mur et le tableau, petit à petit, cet espace s’est agrandi. Le dos du tableau est ainsi apparu et progressivement, je n’ai plus accroché le tableau au mur et ai fini par le percer de part en part. Mais je ne savais pas pourquoi je pratiquais ainsi. Par contre, quand j’ai abouti au biface percé, j’en suis resté là. On m’a dit à l’époque, « oh, tu vas continuer à faire des expérimentations », et bien non, j’ai arrêté. Parce que l’aspect bidimensionnel, plat, dans un tableau, c’est l’aspect qu’on appelle traditionnel de la peinture, ce qui fait la tradition dans la peinture, c’est qu’elle est à deux dimensions, et la Rectoversion c’est plat, même s’il y a une ambiguïté avec la percée qui crée quand même un ou des trous mais l’aspect pictural est globalement plat, et même s’il y a quelques légers reliefs, globalement c’est plat et c’est pour ça que la Rectoversion, fondamentalement et probablement contrairement à ce que vous pouvez croire, elle est classique, elle est pour la peinture, elle est pour Rembrandt, pour Le Greco, elle n’est pas contre mais elle est adaptée à son époque. C’est pourquoi souvent dans des expos, je présente aussi des tableaux monofaces et je continue de faire des monofaces, la Rectoversion étant une façon parmi d’autres de proposer un questionnement.

Auditeur 3 : J’écoute, je respecte. Vous parlez de deux faces. Pour moi, c’est pas deux faces. Effectivement, quand on fait un tableau entre guillemets « classique », l’artiste peint son tableau, le met sur le mur. Là, pour moi, on n’est plus en présence d’un tableau, on est en présence de l’expression d’une expérimentation, d’une expérience, et il n’y a plus deux faces, dès l’instant où, je m’excuse, le plus important dans vos tableaux est ce que vous appelez la percée. Pour moi, c’est ça qui est le plus important, car cette percée n’est plus une percée, c’est un champ, un lieu de vacuité, dans lequel se perpétue, se continue cette expérimentation, et à ce moment là, moi je deviens aussi celui qui expérimente, je ne suis plus face à l’œuvre achevée de « mon autre » ou de « l’autre », à travers ou dans ce lieu de vacuité, se continue l’expérimentation qui n’en finit jamais, c’est comme ça que je le vois et pour moi, c’est ce qui me parle le plus, ce que vous appelez ces trous, ces percées.

MDC : Oui, tout à fait ! Il n’empêche que le tableau au mur tel qu’on le conçoit traditionnellement, c’est comme une fenêtre dans le mur. Cette notion là vient de la perspective, de la Renaissance, quand on estimait que le progrès était « demain », devant soi, dans la direction du nouveau monde, « demain sera toujours mieux qu’hier ». A notre époque, il n’y a qu’à demander à nos jeunes « demain ne sera pas nécessairement mieux qu’hier ». En fait, c’est adapté à chaque époque. Je ne remets pas du tout en cause ce que vous dites, Alexandre pourrait dire la même chose que vous puisque lui a toujours écrit sur le côté fondamental de la percée, mais j’insiste simplement sur le fait que le tableau classique monoface au mur, c’est un substitut d’une fenêtre, alors qu’un tableau rectoversé, ce n’est plus une fenêtre, nous ne sommes plus dans la problématique de la fenêtre.

ALN : Je ressens beaucoup ce que vous dites, mais l’aspect fondamental c’est qu’il y a une expérience, vraiment. On n’est plus dans quelque chose d’extérieur à nous, avec lequel on aurait un rapport distant. Ça nous amène à une transformation mais le terme est un peu fort. Par contre, cette percée sur laquelle vous mettez l’accent, elle ne se révèle en tant que telle, que par le tableau. Ce n’est parce que la percée serait essentielle, facteur d’expérience, qu’il faudrait en conclure qu’il n’y a plus de tableau.

Auditeur 3 : Pour moi, cette percée c’est l’expérience qui se perpétue, qui à la limite n’a pas de commencement ni de fin, qui est l’expérimentation sans forme.

ALN : Oui mais il y a toujours ce paradoxe, la percée en tant que telle ne peut se présenter et agir en nous comme expérience sans le tableau lui-même, sans les deux faces.

Auditeur 3 : Ce trou, c’est moi, en quelque sorte.

FB : Pour développer, il y a un autre aspect. Je crois qu’à force de vouloir tourner autour de cette affaire, je crois que c’est plus facile de se projeter car on a affaire à quelque chose qui est debout devant nous. Ça peut se suspendre ou être sur pied c’est vrai mais je crois qu’il y a identification à l’image de l’espèce, c’est plus facile avec quelque chose qui se dresse devant nous, c’est plus le même rapport que le tableau qui est pendu au mur.
Cela facilite aussi l’espèce l’identification ou d’appropriation mais ensuite effectivement ça construit un autre espace, puisque le tableau, c’est un peu une fenêtre, vous allez rentrés dedans, vous allez construire imaginairement votre réaction, enfin elle vient. Alors que là, dans la peinture rectoversée, en fait on se retrouve là, on a une réaction émotionnelle, on a une interprétation, tout ce qu’on veut, on donne du sens, ça on le charge mentalement. Puis on est appelé de l’autre côté parce qu’on est intrigué.
Des amis, la première fois qu’ils ont vu un tableau rectoversé de Michel qui est chez moi, sont restés vingt minutes devant avant de passer derrière. C’est quand même assez amusant, ils restaient avec l’idée qu’un tableau c’est une face, et pas plus loin. Donc c’est vrai qu’on charge un premier sens, on a une première réaction, on passe de l’autre côté et là on voit la différence avec la sculpture car à un moment donné, vous avez une rupture.
Une sculpture, vous tournez autour, il y a une espèce de continuité dans votre regard, alors que là, le fait de passer du côté de la tranche, vous savez que vous perdez quelque chose, vous n’avez plus le tableau dans le champ de vision, vous n’avez plus que la tranche, et on arrive de l’autre côté avec autre chose qui est proposé, ce qui fait qu’on est beaucoup plus acteur et beaucoup plus actif, dans la construction d’un sens pour nous, du tableau ; puisqu’on va confronter deux images, on va essayer de les mettre en cohérence, on va réagir, ça va bouillonner, il y a ces percées, donc, je vous rejoins assez pour dire, c’est peut-être pas exactement ce que vous vouliez dire mais effectivement, on se retrouve dans quelque chose qui est beaucoup plus ouvert, beaucoup plus large, qui ressemble plus à une nébuleuse dans laquelle on construit beaucoup plus une réponse qui, à mon avis, nous est personnelle. C’est pour ça qu’à la limite, peu importe ce que les uns et les autres on a voulu dire, c’est ce qu’on va construire qui est important et je crois qu’on s’approprie plus un tableau à deux faces avec les percées, c’est-à-dire rectoversé, que parfois, un tableau monoface.

Auditrice 2 : Vous avez parlé de perte et c’est vrai que c’est intéressant, cette obligation d’avoir une première vision, d’être ensuite obligé de la lâcher, de se déplacer, de trouver une autre image et donc de se créer une autre image mentale, une troisième image à la limite, qui fait cohabiter les deux premiers sens. C’est un peu ça, ce que vous voulez dire ?

FB : Oui, en tout cas, c’est ce que ça apporte.


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