«L'Allégorie de la Prudence»
du Titien

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L'Allégorie de la Prudence, un symbole religieux
de l'Egypte hellénistique dans un tableau de Titien
(fin)

 

Il n'est pas utile de reprendre le processus d'analyse de l'œuvre qu'a suivi Panofsky avec brio. On renverra sans hésitation le lecteur curieux vers la totalité de son étude puisqu'ici, seulement des extraits ont été retenus. Mais il est vrai que l'essentiel a été repris et on constatera combien, dans l'élaboration d'une œuvre, les raisons subjectives peuvent se mêler aux raisons plus objectives. Même dans la représentation d'un symbolisme le plus impersonnel, il arrive que l'artiste insère des données plus personnelles, souvent méconnues. Le cas de l'Allégorie de la Prudence de Titien révélé par Panofsky est à ce titre exemplaire.

Ce qui justifie cette étude dans le "Cercle Internet Rectoversion" n'est toutefois pas seulement lié à son intérêt. La raison de sa présence tient également au fait qu'elle traite d'un symbolisme ternaire, donc quelque part "rectoversé". Ce monstre "tricéphale" renvoie à une logique non duelle, non bipolaire.

La triade "Passé - Présent - Futur" renvoieà une approche ternaire du temps, "Avant - Pendant - Après". Dans cette triade, le troisième terme ne peut être assimilé à la synthèse des deux premiers. A ce propos, voici un extrait de ce que j'avais écris sur les différences entre la triade rectoversée et la triade hégélienne :

Rectoversion et synthèse hégélienne *

Contrairement à ce que certains pourraient penser, la triade rectoversée n'est ni une synthèse, ni une fin. A ce titre, elle se distingue de la logique de Hegel "thèse, antithèse, synthèse", ce qui n'est pas surprenant puisque, si la triade hégélienne est de nature fusionnelle, ce n'est pas le cas de la triade rectoversée qui est de nature contradictoire.

J'ai appris récemment dans les écrits de Basarab Nicolescu que ce dernier précisait qu'il en était de même pour la triade lupascienne. Je vous propose deux extraits. Le premier est le passage dans lequel Nicolescu établit la distinction entre les deux triades. Le second est celui que j'ai écrit dans "Rectoversion, l'issue", au paragraphe "Rectoversion et synthèse hégélienne". Vous noterez que les analyses des deux textes se rejoignent à plus d'un titre.

« Toute la différence entre une triade de tiers inclus et une triade hégélienne s'éclaire par la considération du rôle du temps. Dans une triade de tiers inclus, les trois termes coexistent au même moment du temps. En revanche, les trois termes de la triade hégélienne se succèdent dans le temps. C'est pourquoi la triade hégélienne est incapable de réaliser la conciliation des opposés, tandis que la triade de tiers inclus est capable de le faire. Dans la logique du tiers inclus, les opposés sont plutôt des contradictoires : la tension entre les contradictoires bâtit une unité plus large qui les inclut....»
( Basarab Nicolescu, "Stéphane Lupasco, "l'homme et son œuvre", Editons du Rocher, 1999, p.130)

«...Ce que nous avons perçu en mettant à jour le verso, c'est que la victoire picturale du recto sur le verso participe d'une approche bipolaire du monde dans laquelle le recto, lié à la lumière, s'est totalement imposé au détriment du verso, lié à l'ombre, systématiquement caché et relégué à son statut de structure non vue.

Si nous avons insisté sur la nécessité de mettre sur un pied d'égalité le recto et le verso, il ne s'agit pas pour autant de fusionner les deux faces pour aboutir à une synthèse hégélienne...(...)...Notre démarche ne saurait en aucun cas s'inscrire dans une perspective hégélienne. Pourtant, certains pourraient assimiler la confrontation du recto et du verso puis leur transpercement réciproque à une démarche relevant de la thèse, antithèse et synthèse. La thèse correspondrait au constat de l'antagonisme du recto et du verso au profit exclusif du recto. L'antithèse consisterait à organiser la confrontation des deux en mettant en avant le verso. Cette opposition donnerait naissance en troisième lieu à la synthèse consistant à présenter une œuvre pacifiée de nature fusionnelle.

Le troisième moment de la dialectique hégélienne est la synthèse où s'opère, à travers leur union, le dépassement de la thèse et de l'antithèse. Souvent, on considère que le fait d'affronter la contradiction puis de la surmonter revient à avoir une démarche hégélienne.

La synthèse vient du grec sunthesis, réunion. Elle s'oppose à l'analyse qui vient du grec analusis, décomposition. Or, nous avons réellement effectué un travail de déconstruction du recto et du verso puis de reconstruction. Apparemment, nous aurions effectué une analyse suivie d'une synthèse. Ce n'est pas tout à fait exact.

D'abord, il faut souligner que l'union, en supprimant la séparation, ne détruit pas pour autant la distinction. Loin de proposer une harmonisation des contraires, la Rectoversion invite à une définition nouvelle du recto et du verso qui continuent d'exister, sous une autre forme. Ce que nous remettons en cause, ce sont les termes proprement dits de recto et de verso qui sont désormais caduques pour nommer les deux faces d'une peinture rectoversée. Nous ne nions pas la réalité de l'endroit et de l'envers mais leur appliquons une nouvelle définition plastique correspondant aux nécessités de notre époque.

Ensuite, l'opération ternaire réalisée dans la rectoversion ne peut en aucune façon être assimilée à la triade philosophique hégélienne "commencement / milieu / fin". S'il est vrai que c'est de la confrontation des deux faces qu'est la troisième face, celle-ci n'est pas du tout la synthèse des deux autres et ne saurait être assimilée à une quelconque fin.

La confrontation du recto et du verso a engendré la création du transpercement. Ce troisième élément est de nature différente des deux autres et n'a rien à voir avec un quelconque dépassement de l'antagonisme des deux premiers. Il ne s'agit pas d'un troisième point de coïncidence des contraires dans lequel les deux autres fusionneraient.

La Rectoversion reste fondamentalement de nature ternaire, non fermée sur elle-même, ouverte sur un ailleurs multiple non limité à l'unique...(...)...»

(Extrait de "Rectoversion, l'issue", MDC, ADAP, 2001)

© Michel De Caso
octobre 2004

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* Extrait de "Rectoversion et Physique Quantique", MDC, ADAP, 2003.

 

Symbolique de la Triade (*)

Les Trois Grâces

Enfin, pour finir ce dossier sur une note légère, voici une courte étude(*) de la symbolique de la triade.

« Le trois est un nombre hautement symbolique, universellement fondamental. Il synthétise la Tri-unité de l'être vivant, il est le produit de l'union du Ciel et de la Terre (1).

Deux forces opposées mais complémentaires s'attirent. Lorsqu'il n'y a pas de conflit entre elles, elles en engendrent obligatoirement une troisième, la résultante. L'unité 1 trouve son complémentaire dans le 2 pour engendrer le 3. Cette triade devient à son tour une unité.

Les triades féminines sont caractéristiques du mode de pensée de l'antiquité (2), que ce soit dans le monde gréco-romain, dans le monde celtique, dans le monde oriental. Exemple : les Grâces, les Heures, les Parques, les Matres.

Hécate déesse de la nuit, est triple selon le rythme lunaire (lune montante, lune pleine, lune descendante) (3). On la représentait souvent comme une femme à trois corps, ou comme trois femmes adossées à une colonne (4) qui symbolisaient les trois aspects de la divinité. Ces trois figures n'en font qu'une : chacune a son existence propre quant à ses attributions et à la fonction qu'elle remplit mais elle participe de la même unité fondamentale qui la fait être trois en une (5).

Le culte des triades féminines s'est perpétué jusqu'à nos jours, par exemple, dans les régions alpines sous la forme de trois saintes légendaires, les « trois Beth », Ainbeth, Wilbeth, et Warbeth. Elles se nomment parfois Catherine, Barbara et Lucie (6).

Autre exemple : les Saintes Maries de la mer qui sont une survivance du culte des matres. Les matres étaient des déesses mères protectrices, symboles de fécondité. Elles allaient toujours par trois. Il est intéressant de noter qu'autrefois, les « Saintes-Maries-de-la-Mer » se nommaient « les trois Maries ». Le christianisme aidant, les trois Matres, les trois Mères, sont devenues des « Maries ».

A Mignière, près de Chartres, il existe un autre lieu de pèlerinage dédié aux trois Maries (7).

On retrouve ces trois Maries dans les évangiles, sans que leurs origines païennes ne soient totalement masquées, au tombeau, le jour de la résurrection, où les trois femmes apportèrent des aromates pour embaumer le Christ.

L'évangile selon Philippe (apocryphe) est plus précis sur cet épisode que les évangiles canoniques, car non corrompu par les scribes du dogme de Nicée.

Les Saintes Femmes au tombeau

Logion 32 :
«Elles étaient trois qui marchaient toujours avec le Maître
Marie, sa mère, la soeur de sa mère, et Marie de Magdala
qui est comme sa compagne
car Marie est pour lui, une soeur, une mère, et une épouse.
»

Ainsi chacune de ces saintes femmes est une Marie et, comme une triade engendre trois autres triades, chaque Marie est à la fois une mère, une soeur et une épouse.

La vierge Marie est triple aussi parce qu'elle est la mère charnelle de Jésus, la Vierge qui doit enfanter, la Reine du ciel.

Marie-Madeleine forme elle-même une triade. Bien qu'à aucun moment il ne soit dit explicitement que ces trois personnes n'en fassent qu'une, la tradition admet l'unité des trois femmes sous le nom générique de Marie-Madeleine. Les évangiles nous montrent ses trois visages, ses trois personnalités, les trois aspects de son évolution spirituelle :

La pécheresse repentie : Elle est pardonnée.
Marie la soeur de Marthe et de Lazare : Elle est initiée.
Marie de Magdala : Elle voit le Christ ressuscité.

Les triades masculines sont plus rares mais elles existent, notamment chez les Celtes.

Les Rois Mages sont trois ; ils symbolisent les trois fonctions du Roi du Monde, le Christ naissant : roi, prêtre, et prophète (8).

On trouve de nombreuses triades dans l'alchimie, souvent dissimulées sous des symboles de la trinité destinées à illustrer le monde en corps, âme, esprit, ou à désigner les trois éléments du grand Œuvre : le souffre, le mercure, le sel (9).»

 

(1) CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont / Jupiter, Paris, 1982. Rubrique : Trois
(2) BIEDERMANN, Hans / CAZENAVE, Michel, LISMONDE, Pascale, Encyclopédie des symboles, Librairie Générale Française, Paris, 1996. Rubrique : Triade
(3) op. cit.
(4) CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont / Jupiter, Paris, 1982. Rubrique : Hécate
(5) BIEDERMANN, Hans / CAZENAVE, Michel, LISMONDE, Pascale, Encyclopédie des symboles, Librairie Générale Française, Paris, 1996. Rubrique : Triade
(6) op. cit.
(7) Revue Atlantis n° 266.30
(8) CHEVALIER, Jean, GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont / Jupiter, Paris, 1982. Rubrique : Trois
(9) BIEDERMANN, Hans / CAZENAVE, Michel, LISMONDE, Pascale, Encyclopédie des symboles, Librairie Générale Française, Paris, 1996. Rubrique : Triade

(*) Cette étude est extraite du site consacré à Marie-Madeleine et ses mystères : http://www.marie-madeleine.com

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Le dossier "L'Allégorie de la Prudence par Le Titien" a été mis en ligne dans le Cercle en octobre 2004.

 

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