La page rectoversée  n°21

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Alain Finkielkraut, Piet Mondrian, Henry de Montherlant, Paul Gauguin

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"L'artiste dans la cité",
rencontre organisée par
France-Culture



France-Culture a organisé une rencontre à Paris, au Cabaret Sauvage, le samedi 11 octobre 2003. Plusieurs débats se sont déroulés autour du thème "L'artiste dans la cité". Un forum a été ouvert sur le site de France-Culture ou chacun a pu exprimer ses analyses, expériences ou témoignages sur ce thème. Je salue cette heureuse initiative de France-Culture propre à réveiller l'anesthésie générale ambiante.

Pour accéder à la page d'accueil du site de France-Culture, cliquez ici.

Pour accéder au dossier spécial au sein duquel vous pourez réécouter l'ensemble des débats, cliquez ici.

J'ai particulièrement apprécié l'intervention du philosophe Alain Finkielkraut.

L'intervention d'Alain Finkielkraut m'a motivé pour lui adresser une lettre, transmise par l'intermédiaire du site de France-Culture. Avant de lire cette lettre, il est souhaitable d'écouter au préalable son intervention du samedi 11 octobre. « Pour le philosophe Alain Finkielkraut, il est temps de savoir dissocier la place de l'art dans le monde et celle des artistes dans la cité ... » Pour écouter l'intervention d'Alain Finkielkraut, cliquez ici.

Je remercie Anne Brunel, rédactrice adjointe en chef et responsable du site de France-Culture qui m'a autorisé à citer un extrait de l'intervention de M.Finkielkraut (voir citations )

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Lettre de Michel De Caso transmise à Alain Finkielkraut

M.Finkielkraut,

Je vous remercie par avance de m'accorder quelques instants de votre temps pour lire ces quelques lignes. J'ai particulièrement apprécié votre intervention dont je ne peux que confirmer l'analyse, en tant que praticien de l'art. Votre analyse n'a pas du faire l'unanimité dans le public, je m'en doute. Soyez rassuré, l'art n'est pas prêt d'être inféodé aux contingences de la cité et tout spécialement la peinture n'est pas prête de disparaître. On la dit à l'agonie et on annonce sa mort depuis les années 20, ça fera bientôt un siècle! Pourtant la magie continue, il y a encore et toujours des peintres et certains d'entre eux sont même créatifs et novateurs. Bien sûr, la continuité de la peinture, mieux, son renouvellement perpétuel n'empêche en rien que de nouveaux arts technologiques émergent parallèlement. L'un n'empêche pas l'autre. Un processus identique existe pour la musique : la musique électronique ne peut pas se substituer à la relation insaisissable et intime qui unit le musicien à son violon ou à son piano, relation à laquelle peut participer de façon plus ou moins soutenue le public. S'il ne s'agit pas d'interdire les outils électroniques, il ne s'agit pas pour autant d'interdire le piano et le violon. En musique, la cohabitation entre les outils électroniques et les instruments traditionnels ne semble pas poser de problèmes particuliers.

Par contre, en arts plastiques et notamment en France, le fait de continuer à pratiquer la peinture avec les matériaux du peintre est littéralement interdit de séjour dans les centres d'art contemporain et autres lieux institutionnels de la cité. Plus l'œuvre est vide, plus le concept qui la soutient est présent certes, mais sa présence est dérisoire de réalité. Or, ce critère de "collage" à la réalité est le critère essentiel des décideurs. Alors les œuvres collent au réel et vraiment, elles n'en décollent pas. Les exemples que vous avez cités dans votre intervention en sont le genre type. Les artistes contemporains décrivent.

Depuis Joseph Beuys, tout le monde est artiste, Beuys lui-même ayant été précédé par Marcel Duchamp qui, avec ses ready-made, avait prouvé que tout objet pouvait être une oeuvre d'art. Voilà où on en est : non seulement, n'importe quel objet peut être considéré comme une oeuvre artistique mais n'importe qui peut se prétendre artiste. Dans ces œuvres qui décrivent, on constate en outre que le public est de plus en plus appelé à participer activement à la création de l'œuvre elle-même. La boucle est bouclée. On est loin, très loin de la conception de l'art dans laquelle l'artiste, comme vous l'avez signalé, se consacre à son art et s'efface au profit de quelque chose qui le dépasse (" L'art contemporain a fait fausse route quand il a remplacé la quête du sens de la vie par l'affirmation de l'individualité pour elle-même. L'individualité ne s'affirme pas par la création artistique... L'artiste est un serviteur éternellement redevable du don qu'il a reçu comme par miracle." Andreï Tarkovski).

Pour Duchamp, aux qualité visionnaires incontestables eu égard à la persistance dans la durée de son "enseignement", ce qu'on oublie de dire c'est qu'il a aussi écrit quelque chose comme cela : "Je leur ai jeté à la figure et par provocation un porte-bouteille et un urinoir et ils les ont pris pour des œuvres d'art...". Cette citation de Duchamp a été quasiment gommée de l'histoire contemporaine, on comprend pourquoi! Aujourd'hui, je connais des professeurs de philosophie, pourtant intelligents et sensibles, qui continuent d'enseigner sans coup férir la vérité du ready-made et qui n'hésitent pas à transmettre à leurs élèves les qualités plastiques et esthétiques qu'ils estiment percevoir dans l'urinoir de Duchamp ("Fontaine", 1917)...

Il y a sans doute encore quelques citations et quelques auteurs oubliés mais la nécessité historique devrait faire que leurs visions ne manqueront pas de surgir le moment venu.

Voilà, M.Finkielkraut, j'espère que vous aurez le temps de lire ces quelques lignes. Je vous renouvelle mes félicitations et ne peux que vous inviter à persister et à signer. Je me permets de mettre en fin de mail l'adresse de mon site. Si vous avez quelques minutes, sa visite devrait vous convaincre du caractère non-farfelu de mon message.

Meilleurs sentiments
Michel De Caso
14 octobre 2003

Pour en savoir plus sur Alain Finkielkraut, cliquez ici.

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Forum de France-Culture. Pour y accéder, cliquez ici.

Extraits de mes interventions dans ce forum (je préfère ne pas citer ici les textes et noms des intervenants du forum pour des raisons juridiques) :

Extrait 1 (sur la précarité des plasticiens)

...(...)...La situation pour les artistes-plasticiens rejoint celle de nombreux autres artistes, elle est extrêmement précaire. A cette précarité s'ajoute la difficulté à trouver des partenaires dont les choix ne seraient pas dictés uniquement par des contraintes économiques et/ou idéologiques. En effet, la création actuelle est à la hauteur de la complexité de notre monde. Comme lui, elle se révèle multiple et parfois même contradictoire. Or, on constate que cette pluralité de la création contemporaine n'est pas montrée. Le plus souvent, le type d'oeuvres sélectionnées appartient à la même mouvance, celle qui est, pour dire court, dans la continuité des ready-made de Duchamp. A ce titre, nul ne peut nier l'importance de cet artiste.

Mais si la rupture des ready-made a eu en son temps sa nécessité, ne serait-il pas temps de la "digérer"? Cette "digestion" est d'autant plus possible qu'un certain nombre de plasticiens, certes encore minoritaires, l'ont déjà réalisée. La Rectoversion fait partie de ces propositions plastiques qui offrent à l'artiste la possibilité de continuer à peindre mais selon une construction du support inédite. C'est d'ailleurs le fait que la Rectoversion ne soit pas "contre" la peinture mais "avec" qui la rend minoritaire et l'exclut du même coup de la vision majoritaire.

Aussi, je lance un appel à travers ce forum à ceux et à celles qui se reconnaissent dans mes propos et qui, dans leur domaine propre et suivant leurs sensibilités, souhaitent apporter leur contribution au débat. Si ce débat pouvait contribuer à lever la chape de plomb qui existe sur les arts en général et en particulier sur les arts plastiques, mon intervention n'aura pas été vaine. De toute façon, quelle que soit la suite, je renouvelle mon coup de chapeau à France-Culture pour cette initiative...(...)...

Extrait 2 (sur la singularité artistique)

...(...)...Effectivement, la singularité ne semble pas de saison, ce qui peut paraître être un comble, quand on se place sur le terrain de la création artistique. Si l'on constate qu'aucune prise de risque n'est prise par ceux et celles qui seraient censés promouvoir les oeuvres singulières, c'est probablement parce que les critères sélectifs sont d'une autre nature que ceux de la recherche "objective" de la singularité. Que voulez-vous, si l'on prend le domaine des arts plastiques par exemple, globalement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l'histoire de l'art n'est plus faite par les artistes proprement dits mais plutôt par les critiques ou apparentés. En soi, ce constat n'est pas négatif, surtout lorsque les critiques en question s'avèrent être de qualité. Par contre, à ce jeu d'abandon de l'expérimentation théorique et pratique aux mains (?) de non-artistes, les artistes ont largement minoré leur autonomie de pensée. Alors, ils s'épuisent à chercher le mécène tant attendu qui pourrait les soutenir en oubliant que ce rapport artiste/mécène est devenu quasiment fantasmatique, voire caduque.

Or, il est évident que le "créateur" devrait pratiquer son art du mieux qu'il peut, laissant sa promotion aux mains de personnes compétentes. C'est d'ailleurs un peu le rêve de chaque artiste. On sait que le processus créatif, fragile et fugace, peut être considéré comme un moment non maîtrisé susceptible de ne pas être reproduit à la demande. Pourtant, rien ne semble pouvoir casser cette énergie créatrice et, même si le succès et la reconnaissance peut parfois lui nuire, il n'en demeure pas moins que l'artiste est aussi un homme ou une femme de son temps. A ce titre, il est incarné et doit faire face à des obligations auxquelles sont confrontés tous les autres membres de la société. Sous prétexte de l'aura valorisante dont jouit la "création" artistique, l'artiste devrait en payer le prix. Qu'on se tranquillise, la "création" n'est pas un long fleuve tranquille. Le "créateur", connu ou pas connu, de toute façon, il en paie le prix. Alors, il n'y a vraiment aucune raison pour que l'artiste ne puisse pas vivre de son art.

Diviser pour régner est le credo habituel qui est chanté auprès des artistes. Les jalousies et autres aigreurs font le reste pour anéantir cette autonomie de la pensée dont je parlais tout à l'heure. Les artistes ne valent pas mieux que les autres êtres humains, ils sont ni pires ni meilleurs. Leur spécificité tient au fait qu'ils pratiquent un art et c'est pourquoi on les aime. La vie sans l'art serait en effet d'une platitude et d'un matérialisme désespérants. Même si j'adhère à la pensée de Nietzche selon laquelle "l'art est là pour nous empêcher de mourir de la vérité", le fait est là que l'art existe et cela, c'est déjà pas mal.

Extrait 3 (sur l'art et la science ainsi que la transdisciplinarité)

...(...)...Malgré la notoriété d'Edgar Morin et la pertinence de ses propos, la spécialisation continue son règne, de façon plus ou moins flagrante. Il est pourtant évident que différentes spécialités gagneraient à se connaître, non pas pour une hypothétique synthèse totalement hors de portée mais tout simplement pour insister sur le caractère non absolu de leurs propres connaissances. Il en est de même de l'art et de la science auxquels vous faites allusion. Ce serait d'ailleurs qu'un juste retour des choses mais il me semble que l'art et la science garderont dans l'avenir leur spécificité et leur champ d'intervention particulier. Des passerelles certes peuvent les rapprocher ponctuellement mais vouloir faire de l'art une science et de la science un art ne me paraît pas réaliste. Je crois d'ailleurs que ceux qui ont une approche uniquement "scientifique" de l'art - ou du moins qui la revendiquent comme telle et ils sont encore nombreux de nos jours - verront dans l'avenir leur conception perdre peu à peu de l'importance. Finalement, dans l'histoire de l'art mondiale, on pourra alors dire que cette conception artistique scientiste n'en aura représenté qu'une partie négligeable, à la fois dans la durée et dans l'espace...(...)...

© Michel De Caso, octobre 2003

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citations
Alain Finkielkraut, Piet Mondrian, Henry de Montherlant, Paul Gauguin

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remarque :
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LA PAGE RECTOVERSÉE N°21- Octobre 2003
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