- Le spirituel dans l'art, l'éternel retour - la page rectoversée n°22 -

La page rectoversée n°22

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Georges Bernanos, Antonin Artaud, André Masson, Jean Cocteau

Le spirituel dans l'art,
l'éternel retour⁽¹⁾

On se souvient de l'essai de Vassili Kandinsky paru en allemand, en 1912, sous le titre "Uber das Geistige in der Kunst" (en français "Du Spirituel dans l'Art et dans la Peinture en particulier"). Kandinsky y insiste sur la validité de la représentation abstraite apte à rendre autre chose que la perception tronquée de la réalité visible. Il y défend l'intériorité de l'être, qu'il considère comme l'essence de la création, au détriment du raisonnement qui prend comme référence le monde réel. Pour exprimer brièvement sa quête, voici deux citations de Kandinsky :

« Lorsque la religion, la science et la morale sont ébranlées et lorsque leurs appuis extérieurs menacent de s'écrouler, l'homme détourne ses regards des contingences externes et les ramène sur lui-même ; la fonction de la peinture devient alors d'exprimer le monde intérieur de l'individu, autrement dit son monde spirituel.»

« La peinture est un art et l'art dans son ensemble n'est pas une vaine création d'objets qui se perdent dans le vide, mais une puissance qui a un but et doit servir à l'évolution et à l'affinement de l'âme humaine.»

Déjà, Kandinsky avait indiqué que la spiritualité ne renvoyait pas uniquement à la religiosité, en insistant sur le caractère spirituel que pouvait prendre l'intériorité humaine. Dans le domaine spécifique de la peinture, l'abstraction picturale lui paraissait la forme la plus adéquate à rendre une telle intériorité. Ce vieux débat figuratif/abstraction est aujourd'hui totalement anachronique, surtout lorsqu'on attend de la peinture une certaine spiritualité. Celle-ci peut s'y exprimer de quelque façon que ce soit, abstraite, figurative, les deux à la fois, expressionniste, surréaliste, etc… Ce n'est pas la forme picturale qui donne une âme au tableau ; il n'y a pas en effet de recette miracle pour rendre un tableau spirituel. L'âme d'un tableau tient en une alchimie étrange où le peintre joue le rôle prépondérant et où les formes qu'il matérialise vise à exprimer les vibrations de son âme. Kandinsky l'avait d'ailleurs bien perçu puisque sa nécessité intérieure visait à produire de telles vibrations.

Dans l'Epilogue du livre " Rectoversion, l'issue " , nous avions envisagé le retour de la métaphysique dans la peinture, après avoir fait un parallèle avec l'évolution de la physique :

«…(…)…L'histoire de l'art moderne et contemporain connaît les mêmes interdits métaphysiques (que la science moderne). Certains ont même voulu faire de l'art une pseudo-science…(…)…Si la physique ne peut gommer en deux siècles plusieurs millénaires de métaphysique, il en est de même pour la peinture. Un art plus ou moins galvaudé dans le subjectivisme chronique ne saurait ignorer que le rôle fondateur de l'art est un acte magique dans lequel l'artiste s'efface au profit d'une réalité qui le dépasse et qu'il sert…(…)…»(2)

Désormais, des indices de plus en plus fréquents confirment ce retour du spirituel dans l'art. Il va s'en dire qu'en ce qui nous concerne, ce retour ne saurait être qu'un éternel retour, le laps de temps pendant lequel l'art s'est désolidarisé de la spiritualité étant finalement dérisoire au regard de l'histoire de la peinture.

Pour illustrer cet éternel retour, nous avons noté que la revue artistique Artension a consacré son numéro de novembre et décembre 2003 à un dossier intitulé Dieu et l'art contemporain. Voici un extrait de l'éditorial de Pierre Souchaud :
« Croyant ou non, chacun admet que l'œuvre d'art a un rapport avec le sacré. Elle possède, pour avoir valeur universelle et résister au temps, un mystère central irréductible à toutes sortes d'analyses, qu'elles soient historiques, psychopathologiques ou socio-politiques …(…)…C'est là que se noue le Sens, c'est par là qu'on accède à autre chose qui est en effet de l'ordre de la transcendance et qui concerne aussi la Liberté…(…)…Ce compagnonnage a toujours existé. Il était très fort quand l'art était intimement lié au rituel religieux. Il est devenu moins fort avec l'apparition de la modernité en tout. Il revient, semble-t-il en force aujourd'hui …(…)…L'art replacé dans la sphère du spirituel ? C'est à envisager, puisqu'il pourrait, comme dénominateur commun à tous les hommes, fédérer les différentes formes de croyances et de non-croyances entre elles. »(3)

« C'est l'importante manifestation multi-artistique " la chair et Dieu " organisée par le Diocèse de Lyon, qui nous a donné l'occasion d'aborder cette question importante de la transcendance dans la création artistique (sujet dont Pierre Bourdieu a fait l'impasse pour des raisons de commodité méthodologique, ou pour d'autres raisons…) »(4)

Parallèlement à ce retour de questionnements spirituels dans la peinture, nous avons remarqué que le langage rectoversé commence singulièrement à se faire entendre. Non pas que nous avons la prétention de croire que nos écrits soient plagiés, quoique en certains cas le plagia ne fasse aucun doute, mais plus exactement, la vision rectoversée semble être de plus en plus partagée, même partiellement, par de plus en plus de chercheurs. Ce partage s'exprime essentiellement par le premier pas vers la Rectoversion qui reste la reconnaissance de la vision curviligne et le refus de la prédominance exclusive de la vision rectiligne. C'est ce que nous appelons dans la symbolique rectoversée la mise à jour du verso. Ainsi, nous avons noté que la ligne courbe et sinusoïdale ainsi que toute la symbolique qui s'y rattache était singulièrement mise en avant dans une rencontre entre le critique d'art de Télérama Olivier Céna et le peintre Gérard Garouste.
En voici quelques extraits :

« Soit un monde sinusoïdal - imaginons quelque chose d'un peu tordu, d'un peu complexe, s'opposant à la fameuse ligne droite de nos leçons d'écolier, un chemin biscornu, en somme, fait de courbes inattendues et de virages improbables -, soit ce monde, donc, au sein duquel Gérard Garouste, 57 ans, sans doute le peintre français le plus réputé, se meut avec une extraordinaire agilité…(…)…
Soit un monde sinusoïdal, donc, dont la restitution apparaît ici un peu rectifiée, épurée, clarifiée afin que le lecteur peu habitué aux méandres puisse s'y retrouver …(…)… Soit un monde sinusoïdal, c'est-à-dire souple ; vivant, intelligent, cultivé, tolérant et ouvert, s'opposant à la rigidité, au sectarisme et à l'ignorance, qui de nos jours grandissent. »(5)

Assurément, le processus de dénonciation de l'idéologie de la rectitude est en marche. Après la reconnaissance des valeurs attribuée à la ligne curviligne, valeurs perçues sur un pied d'égalité (et non d'identité) de celles de la ligne rectiligne, devrait venir la critique constructive du système philosophique qui justifie la vision bipolaire irréductible, à savoir le dualisme. Mais une telle éventualité n'est pas pour demain, tant le dualisme semble ancré dans les mentalités.

Michel De Caso

(1) texte passé dans le Journal n°3 (janvier-février-mars 2004) du mouvement artistique contemporain "rectoversion, an 10 de l'an 10.000".
(2) " Rectoversion,l'issue " , ADAP, 2001, p.349-350
(3) Artension n°14, nov-déc 2003, Editorial de Pierre Souchaud
(4) Introduction au dossier " Dieu et l'art contemporain ", Artension n°14, nov.déc.2003.
http://www.artension.fr
(5) Olivier Céna, Térérama n°2815, 24 décembre 2003, extrait de l'article sur Gérard Garouste " Garouste, Isaïe, le bœuf et l'âne ".
http://www.telerama.fr

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Georges Bernanos, Antonin Artaud, André Masson, Jean Cocteau

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LA PAGE RECTOVERSÉE N°22 - Janvier 2004
LE SPIRITUEL DANS L'ART, L'ETERNEL RETOUR.
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