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La page rectoversée n°23
 
Marcel Duchamp,
les ready-made et la peinture
En 1912, lors d'une visite d'une exposition sur la technique aéronautique,
Marcel Duchamp (1) aurait déclaré au peintre Fernand
Léger et au sculpteur Constantin Brancusi « La peinture
est morte. Qui pourra faire mieux que cette hélice ? Dis-moi
tu en serais capable, toi ? ".
Bientôt un siècle après cette réflexion,
malgré les nombreuses morts annoncées de la peinture,
celle-ci est plus vivace que jamais. La revue Artension lui consacre
un dossier « A quoi sert la peinture ? ". La création
par Marcel Duchamp des ready-made continue à ce titre d'être
un des événements clé qui participe à
cette apologie de la fin de la peinture.
Pour des raisons de commodités de lecture, cette étude
sur Marcel Duchamp, les ready-made et la peinture
s'étend sur trois pages rectoversées successives.
En voici le plan :
I/ Le complexe Duchamp (page rectoversée
n°23)
II/ Ready-made et esthétisme (page rectoversée
n°24)
III/ Pérennité de la peinture (page
rectoversée n°25)
Marcel Duchamp,
les ready-made et la peinture
I
Dans le livre «Rectoversion, l'issue», j'ai consacré
un chapitre important à Marcel Duchamp, dont le titre est
« Le complexe Duchamp ". Compte tenu du contexte actuel,
je crois opportun de vous en proposer un extrait.
Le complexe Duchamp (2)
Dans le titre du présent chapitre, le terme complexe est
entendu à la fois comme une allusion à la complexité
de l'uvre de Duchamp et comme désignant un symptôme
persistant qui touche l'art contemporain, une sorte de complexe
psychoplastique non digéré.
Les montreurs d'horreurs
Chacun sait que la nature humaine est contradictoire et qu'on ne
peut indéfiniment vivre dans la rectitude. Alors tout le
monde fait semblant de l'ignorer et les attitudes droites de surface
ne sont là que pour justifier un discours d'arrière-garde
et entretenir l'illusion tenace en une direction unique. Mais comme
la nature reprend toujours ses droits, une telle organisation humaine
qui affiche des valeurs rigides est obligée de pratiquer
sous le manteau des actions que l'on pourrait, par provocation,
appeler tordues. C'est ainsi, par exemple, que l'art contemporain
se voit attribuer ce rôle de montreur d'horreurs.
...(...)...
Pour afficher une attitude convenable, les montreurs d'expositions
sont parfois tenus de donner à voir des uvres qui ne
sont pas moralement convenables.
...(..)...
Cette notion de convenance morale est bien sûr relative et
est susceptible d'évoluer. L'évolution des murs
fait que telle image ou tel objet choquera moins au fur et à
mesure du temps qui passe. Il finira même par être historicisé
et accepté comme un objet faisant partie du patrimoine culturel,
pouvant même devenir une pièce de musée. L'exemple
célèbre sont les tableaux de facture expressionniste
de Van Gogh qui de son vivant ne convenaient pas au goût général
et qui, aujourd'hui, sont souvent appréciés par des
publics convenables se considérant eux-mêmes comme
de goût classique. A partir de tels exemples, il en serait
de même pour d'autres uvres comme les ready-made de
Marcel Duchamp. Avec le temps, ces travaux ne feraient plus scandale
et pourraient même paraître beaux dans le sens où
leurs qualités plastiques seraient appréciées.
Pour le lecteur qui connait mal les ready-made de Duchamp, voici
quelques précisions : « Dès 1913, on peut considérer
que l'intérêt de Duchamp pour la peinture s'épuise.
Très sensible au défi que la technologie lance à
l'esthétique, il donne, en 1914, son premier ready-made,
objet manufacturé tout fait sur lequel il se contente d'apposer
sa signature, l'élevant ainsi au rang d'uvre d'art
: il s'agit en l'occurrence d'une "Roue de bicyclette"
fixée par sa fourche à un tabouret de manière
à ce qu'elle puisse librement tourner. C'est ainsi que, par
la suite, il présentera un "porte-bouteilles" (1914)
en fer galvanisé, une pelle à glace (1915) sous l'appellation
"En attendant le bras cassé". En 1917, il envoie
au Salon des Indépendants de New York un urinoir en porcelaine
qu'il intitule "Fontaine" et qu'il signe du nom d'un fabriquant
d'appareils sanitaires. L'uvre ayant été refusée,
il démissionne du jury. Il invente aussi le ready-made inversé
("se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser")
ou modifié, avec une reproduction de la Joconde affublée
d'une paire de moustache, intitulée "L.H.O.O.Q.»(3)
(
)
En reprenant la terminologie du symbolisme du jour et de la nuit,
on pourrait dire que l'art contemporain se joue la grande nuit polaire.
Si l'on considère cette lucidité critique comme du
pessimisme, j'en accepte le mot mais le tempère quelque peu
en précisant qu'il s'agit d'un pessimisme éclairé.
Le philosophe agnostique Jean-François Revel, dans un dialogue
avec son fils Matthieu Ricard, docteur en biologie devenu moine
tibétain auprès de son maître le Dalaï-Lama,
confirme notre point de vue. En réponse à Matthieu
Ricard qui expose la notion de nouveauté considérée
comme essentielle pour reconnaître la valeur d'une uvre
contemporaine occidentale alors que, dans l'art traditionnel oriental,
la subjectivité de l'artiste s'efface totalement devant l'uvre
qui doit véhiculer un graphisme ou une iconographie identifiée
et identifiable, Jean-François Revel répond:
« Je crois qu'il n'est pas besoin d'être bouddhiste
pour faire ce genre de remarques. Beaucoup de personnes en Occident,
y compris celles qui sont très attentives à l'évolution
des arts et même aux dernières nouveautés de
la création artistique, savent également que tout
un aspect de l'art occidental consiste en un art de duper le public
et d'éblouir les naïfs ! »(4)
Analyse des ready-made
Appliquons aux ready-made de Marcel Duchamp, susceptibles d'être
appréciés dans le temps, les quatre critères
suivants : leur valeur plastique, intellectuelle, mercantile et
spirituelle.
La valeur plastique serait la capacité de l'uvre à
exprimer, par sa plasticité, des sensations et des émotions.
Sa valeur intellectuelle serait sa capacité à générer
des idées et des questionnements accessibles au raisonnement.
Sa valeur mercantile, prise dans acception courante, serait sa capacité
à produire des gains financiers (valeur marchande). Enfin,
sa valeur spirituelle serait sa capacité à susciter
des perceptions relatives à des principes supérieurs
non accessibles au raisonnement.
Si l'on applique ces quatre critères aux ready-made de Duchamp,
on fait le constat qui suit.
La valeur plastique des ready-made est aussi faible qu'à
l'origine et elle ne devrait pas évoluer avec le temps. Le
porte-bouteilles paraît aussi peu sensuel, expressif
et inspiré qu'en 1914, lorsqu'il a été exposé
pour la première fois.
Sa troisième version de 1951 donne la même impression
de fatuité plastique.
La valeur intellectuelle est aussi forte qu'au début dans
le sens où nous reconnaissons à Duchamp la puissance
de son idée selon laquelle, si un artiste décide que
tel objet est une uvre d'art et si un musée expose
cet objet, ledit objet devient alors une uvre d'art. Cette
déclaration iconoclaste n'a pas pris une ride. Bravo, Duchamp
!
La valeur mercantile se porte bien, merci pour elle ! No comment.
Son urinoir renversé de 1917 dénommé Fontaine
a été estimé en 1999 à 2 millions de
francs. On ne peut ici que confirmer une telle inflation par la
phrase lumineuse formulée par Jack Palance : « Chaque
fois que j'entends le mot culture, je sors mon carnet de chèques
! »
La valeur spirituelle des ready-made, par contre, est nulle. Cette
absence totale d'ouverture spirituelle fera certainement que ce
genre d'uvre vieillira mal puisque le spirituel est par définition
intemporel.
Malgré cette tare indélébile de manque de
toute spiritualité, nous reconnaissons à Duchamp,
outre une brillance intellectuelle, d'avoir effectué un travail
de désacralisation salutaire de la peinture.
Duchamp a écrit : peut-on faire des uvres qui ne
soient pas d'art ? On peut le remercier ainsi que tous les autres
artistes iconoclastes de sa génération d'avoir mis
en pratique cette idée car elle a permis l'éclosion
de nombreux suiveurs. Ces derniers ont rempli les musées
d'uvres totalement cérébrales, pour le meilleur
et pour le pire.
C'est au contact de telles uvres que j'ai eu envie de désobéir
et d'apprendre la technique de la peinture, ce qui n'était
pas d'actualité chez les apprentis peintres d'alors. Je fais
ici allusion à mes débuts dans les années soixante-dix,
en plein Art Conceptuel et autre Body-Art
(
)
Michel De Caso
Notes
(1) Artiste français naturalisé américain
né en 1887 à Blainville (Seine-maritime) et mort en
1968 à Neuilly-sur-Seine.
(2) " Rectoversion l'issue ", Michel De Caso, Ed. ADAP,
2001, page 208 à 216.
(3) Dictionnaire universel de la peinture, Le Robert, 1976, tome
2, p.266.
(4) "Le moine et le philosophe", Jean-François
Revel et Matthieu
*
citations
Marcel Duchamp 1
*
remarque :
Je rappelle que « la page rectoversée » est la
chronique multimédia régulière du site www.rectoversion.com.
A ce titre, elle n'exprime que mes propres points de vue et centres
d'intérêts. Ceux-ci, comme la totalité du site
www.rectoversion.com, n'engagent en rien les membres du mouvement
créé en mars 2002, « rectoversion, an 10 de
l'an 10.000 ».
A.D.A.P. et Michel De Caso : webmaster-propriétaire-éditeur
du site www.rectoversion.com
Il est précisé que les textes et images du site
www.rectoversion.com ne peuvent être reproduits sans l'autorisation
écrite préalable de Michel De Caso et de l'A.D.A.P.
et ce, pour tous les pays.
*
LA PAGE RECTOVERSÉE N°23 - mars-avril 2004
MARCEL DUCHAMP, LES READY-MADE ET LA PEINTURE.
LETTRE INTERNET DU SITE WWW.RECTOVERSION.COM
PEINTURES, SCULPTURES, ECRITS D'ART CONTEMPORAIN.

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