RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 2 - octobre 2003

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Grandes misères de la vie plasticienne *
par Harry Bellet**

(Le comité rédactionnel du journal précise qu’Harry Bellet ne fait pas parti du mouvement rectoversion, an 10 …mais, devant l’intérêt et l’actualité de son article, il a été décidé de le passer en totalité. Le comité remercie le journal « Le Monde » pour son autorisation)

« Du 17 au 20 septembre, peintres, sculpteurs ou dessinateurs se réunissent à Paris pour les premières Rencontres nationales d'artistes plasticiens. L'occasion de faire connaître leurs conditions de travail caractérisées par la précarité, l'absence d'assurance-chômage et, souvent, la pauvreté.

Les artistes sortent de leurs ateliers et prennent la parole. Du 17 au 20 septembre, ils se réunissent à La Villette, à Paris, pour les premières Rencontres nationales des artistes plasticiens. Et cela peut faire du bruit car ils sont nombreux : selon une étude du Ministère de la Culture, menée par les économistes Françoise Benhamou et Dominique Sagot-Duvauroux (Galeries d'art, Paris, département des études et de la prospective du Ministère de la Culture et de la Communication, 2001), ils étaient 16 000 à cotiser à la Sécurité sociale en 1999. Un chiffre qui concerne tous les arts plastiques : sculpture, dessin, peinture, graphisme... Trois ans plus tard, en 2002, ils étaient, selon la Maison des artistes, qui gère leurs assurances sociales, plus de 22 000, un chiffre auquel il convient d'ajouter plus de 5 000 impétrants qui ne cotisaient pas encore mais s'étaient inscrits. Bref, plus de 27 000 personnes recensées. Ce qui est encore loin de la réalité : bien des artistes plasticiens occupent par ailleurs une profession salariée et bénéficient du régime général. Rares sont ceux qui, dans ce cas, déclarent leurs ventes occasionnelles, comme la loi leur en fait pourtant obligation. D'autres n'ont tout simplement pas les moyens de cotiser : pour bénéficier d'une couverture sociale, l'artiste doit en effet dégager un bénéfice, tous frais payés (loyer, matériel, etc.), de 6 075 Euros par an. La somme est modeste, mais un quart des affiliés n'y parvient pas. Plus bas encore est le seuil de radiation : 3 038 Euros par an. Mais la situation est telle que beaucoup survalorisent leurs revenus réels pour être protégés socialement.

Petits boulots

Certains ont un double emploi : travail en bâtiment, décoration d'appartements, mais aussi toute

une série de petits boulots. Ils appellent cela des "chantiers". Les plus chanceux trouvent un poste d'enseignant dans une école d'art. Leur rémunération est très variable, selon que l'école est privée ou publique, territoriale ou nationale. Les autres se débrouillent. Certains, enfin, touchent le RMI. Le code du travail leur permet en outre de prétendre à l'allocation de solidarité spécifique, théoriquement pendant un an maximum, pour un montant de 13,36 Euros par jour.

Face à cette situation, les pouvoirs publics font ce qu'ils peuvent. En 1982, Jack Lang, alors Ministre de la Culture, avait créé trois entités : la première, la Délégation aux arts plastiques, a pour mission "l'incitation à la création, l'aide aux créateurs, les acquisitions et commandes, la formation, ainsi que la diffusion auprès du public de toutes les formes de l'expression plastique". Elle a créé un site (www.cnap.fr) pour répondre aux questions que peut se poser un artiste sur son statut. La deuxième, le Centre national des arts plastiques, a pour mission "la commande et la production d'objets d'art dans l'enseignement et la diffusion des arts plastiques, en associant notamment les arts plastiques à l'architecture". Il est l'héritier de la tradition de la commande ou des achats de l'Etat depuis 1791, date à laquelle fut créé un secours annuel pour le soutien des arts. Enfin, les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) agissent dans chaque région, dans le cadre de la politique de décentralisation. Le principe est le suivant : lorsque la région décide d'une acquisition d'œuvre contemporaine, l'Etat contribue à son achat pour la moitié de la somme. Depuis leur création, il y a vingt ans, ils ont acquis environ 13 000 œuvres de 2 700 artistes. Soit un sur dix. Dans des conditions probablement honorables, mais dont le fonctionnement, d'une rare opa-cité, suscite au mieux la grogne, au pis la suspicion.

D'où, lors des Rencontres nationales d'artistes plasticiens de La Villette, un forum très attendu sur la transparence de ces procédures animé par l'artiste Fred Forest, qui fit naguère un procès retentissant au Centre Pompidou pour que soit divulgué le prix d'achat des œuvres. "Les institutions culturelles doivent les premières jouer la transparence vis-à-vis du citoyen comme vis-à-vis des artistes, explique-t-il. Transparence sur l'utilisation des fonds publics, transparence sur l'attribution des bourses et subventions, transparence sur le fonctionnement des nominations aux postes et aux fonctions de responsabilité à tous les niveaux ... Ce sont là les conditions mêmes d'un fonctionnement sain et démocratique. Il appartient aux artistes, qui sont en ce domaine les véritables producteurs de biens, d'exiger que cette transparence soit strictement appliquée."

Plus généralement, il tient à ce que, dans cette version moderne de la fable du loup et du chien, l'artiste continue de vivre sans collier. Libre, certes, mais efflanqué. "L'artiste est-il étranger aux contingences socio-économiques ?", interroge un autre atelier de La Villette. Fred Forest a commencé sa carrière comme "surnuméraire aux PTT", à "tamponner pendant onze ans des timbres". Le peintre Philippe Compagnon lui, relève les compteurs d'EDF. Les artistes plasticiens sont loin de l'image aristocratique que leur conférait leur familiarité avec les princes de la Renaissance. Pour tout dire, ils crient misère : selon l'étude de Françoise Benhamou et Dominique Sagot-Duvauroux, les trois quarts d'entre eux déclaraient, en 1999, des revenus inférieurs à 15 000 Euros par an. Une des pistes de travail consisterait à faire porter les aides de l'Etat non sur des individus, mais sur les associations, qui ont créé un formidable maillage du territoire. C'est, ainsi, la solution retenue par le Québec. Sous l'égide du Ministère local de la Culture et des collectivités locales qui les sub-ventionnent , les artistes se sont regroupés en associations.

Selon Gilles Arteau, auteur d'un Répertoire des centres d'artistes autogérés du Québec (Montréal, 1995), ces centres d'artistes sont des "organismes regroupant des artistes professionnels dont le mode de fonctionnement repose sur l'autogestion puisque les artistes, membres des centres, sont à la fois des créateurs et des gestionnaires des services de production ou de diffusion". Les artistes qui y exposent bénéficient, le cas échéant, du remboursement de leurs frais de déplacement et d'hébergement, et de ceux inhérents au transport des œuvres, parfois d'une aide à la production. Ils sont surtout rétribués pour la présentation de leur travail et touchent ce que l'on appelle au Québec un "droit de monstration". Un artiste exposant régulièrement dans les musées et les centres d'art canadiens peut bénéficier ainsi d'une source non négligeable de revenus. Le système s'engorge cependant facilement : lorsqu'un centre d'artistes a fait le plein de membres et d'exposants, les nouveaux arrivants n'ont plus qu'à se prendre par la main et quêter des subventions pour créer une autre association bien à eux. Artistes québécois, mais aussi belges, espagnols, portugais, colombiens, ou hollandais seront présents à La Villette pour expliquer leurs situations respectives.

Harry Bellet**

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* Extrait du journal « Le Monde » daté du 18 septembre 2003 ( www.lemonde.fr )
** Harry Bellet ne fait pas parti du mouvement rectoversion.

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