(Le
comité rédactionnel du journal précise quHarry
Bellet ne fait pas parti du mouvement rectoversion, an 10
mais,
devant lintérêt et lactualité de
son article, il a été décidé de le passer
en totalité. Le comité remercie le journal «
Le Monde » pour son autorisation)
« Du 17 au 20 septembre, peintres, sculpteurs ou dessinateurs
se réunissent à Paris pour les premières Rencontres
nationales d'artistes plasticiens. L'occasion de faire connaître
leurs conditions de travail caractérisées par la précarité,
l'absence d'assurance-chômage et, souvent, la pauvreté.
Les
artistes sortent de leurs ateliers et prennent la parole. Du 17
au 20 septembre, ils se réunissent à La Villette,
à Paris, pour les premières Rencontres nationales
des artistes plasticiens. Et cela peut faire du bruit car ils sont
nombreux : selon une étude du Ministère de la Culture,
menée par les économistes Françoise Benhamou
et Dominique Sagot-Duvauroux (Galeries d'art, Paris, département
des études et de la prospective du Ministère de la
Culture et de la Communication, 2001), ils étaient 16 000
à cotiser à la Sécurité sociale en 1999.
Un chiffre qui concerne tous les arts plastiques : sculpture, dessin,
peinture, graphisme... Trois ans plus tard, en 2002, ils étaient,
selon la Maison des artistes, qui gère leurs assurances sociales,
plus de 22 000, un chiffre auquel il convient d'ajouter plus de
5 000 impétrants qui ne cotisaient pas encore mais s'étaient
inscrits. Bref, plus de 27 000 personnes recensées. Ce qui
est encore loin de la réalité : bien des artistes
plasticiens occupent par ailleurs une profession salariée
et bénéficient du régime général.
Rares sont ceux qui, dans ce cas, déclarent leurs ventes
occasionnelles, comme la loi leur en fait pourtant obligation. D'autres
n'ont tout simplement pas les moyens de cotiser : pour bénéficier
d'une couverture sociale, l'artiste doit en effet dégager
un bénéfice, tous frais payés (loyer, matériel,
etc.), de 6 075 Euros par an. La somme est modeste, mais un quart
des affiliés n'y parvient pas. Plus bas encore est le seuil
de radiation : 3 038 Euros par an. Mais la situation est telle que
beaucoup survalorisent leurs revenus réels pour être
protégés socialement.
Petits
boulots
Certains
ont un double emploi : travail en bâtiment, décoration
d'appartements, mais aussi toute
une
série de petits boulots. Ils appellent cela des "chantiers".
Les plus chanceux trouvent un poste d'enseignant dans une école
d'art. Leur rémunération est très variable,
selon que l'école est privée ou publique, territoriale
ou nationale. Les autres se débrouillent. Certains, enfin,
touchent le RMI. Le code du travail leur permet en outre de prétendre
à l'allocation de solidarité spécifique, théoriquement
pendant un an maximum, pour un montant de 13,36 Euros par jour.
Face
à cette situation, les pouvoirs publics font ce qu'ils peuvent.
En 1982, Jack Lang, alors Ministre de la Culture, avait créé
trois entités : la première, la Délégation
aux arts plastiques, a pour mission "l'incitation à
la création, l'aide aux créateurs, les acquisitions
et commandes, la formation, ainsi que la diffusion auprès
du public de toutes les formes de l'expression plastique".
Elle a créé un site (www.cnap.fr) pour répondre
aux questions que peut se poser un artiste sur son statut. La deuxième,
le Centre national des arts plastiques, a pour mission "la
commande et la production d'objets d'art dans l'enseignement et
la diffusion des arts plastiques, en associant notamment les arts
plastiques à l'architecture". Il est l'héritier
de la tradition de la commande ou des achats de l'Etat depuis 1791,
date à laquelle fut créé un secours annuel
pour le soutien des arts. Enfin, les fonds régionaux d'art
contemporain (FRAC) agissent dans chaque région, dans le
cadre de la politique de décentralisation. Le principe est
le suivant : lorsque la région décide d'une acquisition
d'uvre contemporaine, l'Etat contribue à son achat
pour la moitié de la somme. Depuis leur création,
il y a vingt ans, ils ont acquis environ 13 000 uvres de 2
700 artistes. Soit un sur dix. Dans des conditions probablement
honorables, mais dont le fonctionnement, d'une rare opa-cité,
suscite au mieux la grogne, au pis la suspicion.
D'où,
lors des Rencontres nationales d'artistes plasticiens de La Villette,
un forum très attendu sur la transparence de ces procédures
animé par l'artiste Fred Forest, qui fit naguère un
procès retentissant au Centre Pompidou pour que soit divulgué
le prix d'achat des uvres. "Les institutions culturelles
doivent les premières jouer la transparence vis-à-vis
du citoyen comme vis-à-vis des artistes, explique-t-il. Transparence
sur l'utilisation des fonds publics, transparence sur l'attribution
des bourses et subventions, transparence sur le fonctionnement des
nominations aux postes et aux fonctions de responsabilité
à tous les niveaux ... Ce sont là les conditions mêmes
d'un fonctionnement sain et démocratique. Il appartient aux
artistes, qui sont en ce domaine les véritables producteurs
de biens, d'exiger que cette transparence soit strictement appliquée."
Plus
généralement, il tient à ce que, dans cette
version moderne de la fable du loup et du chien, l'artiste continue
de vivre sans collier. Libre, certes, mais efflanqué. "L'artiste
est-il étranger aux contingences socio-économiques
?", interroge un autre atelier de La Villette. Fred Forest
a commencé sa carrière comme "surnuméraire
aux PTT", à "tamponner pendant onze ans des timbres".
Le peintre Philippe Compagnon lui, relève les compteurs d'EDF.
Les artistes plasticiens sont loin de l'image aristocratique que
leur conférait leur familiarité avec les princes de
la Renaissance. Pour tout dire, ils crient misère : selon
l'étude de Françoise Benhamou et Dominique Sagot-Duvauroux,
les trois quarts d'entre eux déclaraient, en 1999, des revenus
inférieurs à 15 000 Euros par an. Une des pistes de
travail consisterait à faire porter les aides de l'Etat non
sur des individus, mais sur les associations, qui ont créé
un formidable maillage du territoire. C'est, ainsi, la solution
retenue par le Québec. Sous l'égide du Ministère
local de la Culture et des collectivités locales qui les
sub-ventionnent , les artistes se sont regroupés en associations.
Selon Gilles Arteau, auteur d'un Répertoire des centres d'artistes
autogérés du Québec (Montréal, 1995),
ces centres d'artistes sont des "organismes regroupant des
artistes professionnels dont le mode de fonctionnement repose sur
l'autogestion puisque les artistes, membres des centres, sont à
la fois des créateurs et des gestionnaires des services de
production ou de diffusion". Les artistes qui y exposent bénéficient,
le cas échéant, du remboursement de leurs frais de
déplacement et d'hébergement, et de ceux inhérents
au transport des uvres, parfois d'une aide à la production.
Ils sont surtout rétribués pour la présentation
de leur travail et touchent ce que l'on appelle au Québec
un "droit de monstration". Un artiste exposant régulièrement
dans les musées et les centres d'art canadiens peut bénéficier
ainsi d'une source non négligeable de revenus. Le système
s'engorge cependant facilement : lorsqu'un centre d'artistes a fait
le plein de membres et d'exposants, les nouveaux arrivants n'ont
plus qu'à se prendre par la main et quêter des subventions
pour créer une autre association bien à eux. Artistes
québécois, mais aussi belges, espagnols, portugais,
colombiens, ou hollandais seront présents à La Villette
pour expliquer leurs situations respectives.
Harry
Bellet**
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Extrait
du journal « Le Monde » daté du 18 septembre
2003 ( www.lemonde.fr
)
** Harry Bellet ne fait pas parti du mouvement rectoversion.
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