RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 2 - octobre 2003

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La construction dualiste *
par Michel De Caso

L'existence d'un recto et d'un verso procède-t-elle d'une con-ception bipolaire du monde dont les fondements sont constitués sur les contraires ? La langue française permet d'exprimer au mieux cette conception en offrant tout un ensemble de termes antagonistes. Nous soumettons à votre perspicacité, dans le tableau qui suit, quelques-unes de ces relations de termes antagonistes qui nous paraissent révélatrices de cette construction dualiste.

Verso
du latin
verso, versare
tourner
  Recto
du latin
rego, regere
diriger
courbe
l'envers
curviligne
est opposé à droit
l'endroit
orthogonal
irrégulier
baroque
dissonant
détourné
est opposé à régulier
classique
consonant
direct
faux
injuste
mal

est opposé à
vrai
juste
bien

malhonnête
tordu
est opposé à honnête
droit
ombre
obscur
sinistre
derrière
postérieur
est opposé à lumière
lumineux
éclairé
devant
antérieur
dissimulé
est opposé à montré
feint
maladroit
gauche
est opposé à authentique
adroit
habile

 

Le langage dualiste

La première colonne reprend des mots désignant des notions que l'on peut associer au mot courbe et rapprocher du mot-concept verso (notez que verso vient du latin versare signifiant "tourner").
La deuxième colonne donne les termes contraires associés au mot droit, qui se rapportent au mot-concept recto ( ce dernier venant du latin regere, " diriger ").
Droit est entendu à la fois dans son sens géométrique (ligne droite et rectiligne) et juridique (attitude droite et loyale). Volontairement, nous avons placé du côté gauche les termes liés au verso et ceux du recto dans le côté droit.
Si nous avions voulu présenter ce tableau de façon habituelle, nous aurions dû mettre les mots du recto à gauche et ceux du verso à droite. Avec notre disposition inversée, vous êtes obligés de lire en premier les mots-verso puisque notre langue se lit et s'écrit de gauche à droite.

Or, cette façon de lire devrait vous indisposer quelque peu car vous êtes amenés à lire en premier, c'est-à-dire avant, des termes que votre mental associe à ce qui est après ! Pourtant, n'est-il pas plus logique d'écrire à gauche du tableau des notions que l'on associe au côté gauche ?
Il en est de même dans le petit exemple qui suit :
le juste est opposé à l'injuste
est différent de :
l'injuste est opposé au juste.

Il est probable que l'expression qui vous paraîtra la plus crédible est le juste est opposé à l'injuste.

Notre culture associe le terme juste à ce qui est placé avant parce que tout ce qui relève du concept de la lumière, du normal ou du régulier y est toujours considéré comme intervenant en premier. Au contraire, tout ce qui relève du concept de l'ombre, de l'anormal ou de l'irrégulier, est considéré comme intervenant en second. Cette étonnante constatation tient au fait que, dans notre système de références culturelles que nous avons totalement intériorisées, la lumière est proprement divinisée.

Sans doute l'origine de la création du monde selon la Genèse n'y est pas pour rien :
" Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres couvraient l'abîme et le souffle de Dieu planait sur les eaux.
Dieu dit : - que la lumière soit !
- Et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne et il sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière Jour et les ténèbres Nuit. Le soir vînt, puis le matin : ce fut le premier jour.
"
(La Genèse, 1, 1-5)
Les statuts éminemment positifs dont jouissent la lumière et le jour y sont nommément exprimés au détriment des ténèbres et de la nuit.

Le corollaire de cette approche bipolaire fait que nous préférons lire en premier toujours des notions que nous associons à ce qui est avant. Cette conception est directement issue de la notion du temps linéaire qui a un avant et un après, notion indissociable de celle de l'espace qui a un devant et un derrière.

Lorsque notre culture relativisera ces linéarités temporelle et spatiale, représentées géométriquement par la ligne rectiligne qui est une absurdité puisque la ligne droite indéfinie n'existe pas et que toute droite finit par se courber, elle cessera d'adapter la réalité infiniment plus complexe à son propre point de vue dualiste.
Cette conception qui consiste à se limiter à deux composants antagonistes est en effet obligée de stopper la progression au deuxième qu'elle associe à l'après derrière tandis que le premier se rapporte à l'avant-devant. Une telle approche propose une lecture à deux temps, l'avant et le devant opposés à l'après et le derrière.

Cette limitation de l'espace-temps à deux temps nous paraît pour le moins réductrice. On sait en effet que toute action terrestre se lit sur le plan temporel au minimum à trois temps, qui sont l'avant, le pendant et l'après, correspondant au passé, au présent et au futur. Sur le plan de l'espace, il en est de même avec le devant, le milieu et le derrière. Nous traiterons plus loin cet aspect ternaire que nous n'approfondissons pas ici, pour préserver la cohérence de notre analyse.

La partialité dualiste

Mais d'où peut bien venir ce diktat dualiste et comment se fait-il que, malgré ses limites, il reste toujours d'actualité ?

La faiblesse de la conception bipolaire vient du fait qu'elle consiste à confondre le temps chronologique avec la progression symbolique des nombres, ce qui est loin d'être pertinent.

Dans la symbolique des nombres, le chiffre 1 représente l'unité et le point de départ ; il est suivi du 2 qui symbolise la dualité et la division ; puis vient le 3 signifiant l'action et ainsi de suite selon les lois de la numérologie. Bien entendu, il existe toujours un premier, mais il existe éventuellement un deuxième, puis un troisième, un quatrième et ainsi de suite, le cycle chronologique ne s'arrêtant pas au deuxième. En numérologie, le 2 n'est pas plus dévalorisé que le 1, le 3 ou le 4. Chacun a sa raison d'être et conserve en tout état de cause son importance. Même si l'on se limitait aux trois premiers chiffres, il serait aberrant de considérer comme valeur dominante le 1 au détriment du 2 et du 3.

C'est pourtant exactement ce que fait la construction dualiste en accordant la primauté au 1 tout en défendant la notion d'altérité traditionnellement réservée au 2. Or, que ce soit dans le corps humain, sur terre ou dans le cosmos, les forces s'équilibrent naturellement et chacune selon sa nécessité.

Un être humain, souvent considéré comme un microcosme, présente deux tendances : un aspect solaire, lié à l'action et au principe masculin d'extériorisation et un aspect lunaire, lié à la passivité et au principe féminin d'intériorisation. Cet être humain peut tout aussi bien être une femme ou un homme. S'il exprime trop le côté solaire, il risque fort de tomber dans l'activisme force-né. Si c'est le côté lunaire qui prend le pas, c'est la passivité qui le guette. Son travail intérieur consistera à équilibrer ces deux forces antagonistes symbolisées par le soleil et la lune. Notre société contemporaine est par exemple beaucoup trop solaire, ce qui explique sans doute le taux élevé de maladies cardio-vasculaires puisqu'on sait que le cœur et le sang en général sont associés au soleil.

Nous ne nions pas que des forces antagonistes bipolaires soient à la base de toutes choses. Ce que nous dénonçons, c'est le fait d'en privilégier une au détriment de l'autre alors que le juste équilibre correspondant à la formule traditionnelle chinoise, le juste milieu, nous paraît être l'objectif à poursuivre. Pour ce faire, nous proposons d'abord de dénoncer le nœud gordien de notre monde moderne et contemporain qui a consisté à museler et à dévaloriser toutes les valeurs associées au verso.

© Michel De Caso

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* Extrait de " Rectoversion, l'issue ", pages 23 à 29, éditions ADAP, 2001.

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