RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 4 - décembre 2004

précédente - 3 - suivante

La spiritualité post-moderne I :
Déclin des religions et psychopathologies*
par Jean-Claude Cartier**

« Alors que l'Église communique sur la multiplication des grands rassemblements chrétiens, que l'on s'imagine toute la jeunesse musulmane se réunit dans des mosquées pour prêcher le jihad et que l'on e demande si une certaine élite n'est pas en train de massivement tourner bouddhiste, la réalité est bien différente puisque les statistiques montrent que l'audience des religions continue de baisser.

...(...)... Peut-être que le renforcement général de la foi trouve aujourd'hui plus volontiers sa place à l'extérieur qu'à l'intérieur du cadre de la religiosité organisée. Cela étant, cette foi qui explose chez les "sans-religions" conserve, dans la majorité des cas, les mêmes objets que dans les religions. Le jeune Européen sans religion croit avant tout à une vie après la mort, au paradis ou à la réincarnation, au diable ... et tout de même un peu aussi à Dieu. Finalement, la différence ne se situe guère que dans le fait qu'il a décidé par lui-même de croire à toutes ces choses plutôt que de s'être laissé imposer des croyances par le curé ou le pasteur du village et leur catéchisme.

Au constat de l'insécurité actuelle et du déséquilibre écologique, du terrorisme et de la criminalité, on comprend que la crainte flottante d'une fin subite autant qu'inattendue puisse motiver, chez certains, l'adhésion aux vieilles croyances qui ont fait leur preuve, sans qu'il soit pour autant nécessaire de s'embrigader dans des institutions contraignantes et depuis longtemps décrédibilisées. D'aucuns penseront sans doute qu'une telle foi n'est encore ni très profonde ni très authentique... Mais après tout, la crainte a souvent servi d'amorce à la spiritualité ; l'essentiel est de la dépasser...(...)...

Transcendance et psychopathologie

L'expérience transcendantale est toujours spontanée, même lorsqu'elle semble être le fruit de longues méditations ou d'une vie entière de pratique religieuse ; mais, lorsqu'elle apparaît chez des individus dénués de toute religiosité, l'absolu qui s'en dégage est alors plus impérieux.

Autrefois, il arrivait que l'homme du peuple connaisse d'impromptu une forme d'extase mystique. Mais alors, le Chrétien avait des visions de Jésus, l'Hindou de Krishna, le Musulman d'Ali ou de Mohamed, et tous étaient persuadés qu'ils avaient enfin été touchés par la main du Dieu unique, car ses expériences transcendantales étaient culturellement canalisées par des concepts théologiques. Mais ce que démontrent les expériences transcendantales actuelles, c'est que le mental n'a absolument plus besoin de la religiosité pour rencontrer le Soi spirituel. Tout porterait même à croire que la culture, en expulsant aussi radicalement toute spiritualité, provoque, chez certains individus, des réactions d'angoisse et d'insatisfaction profonde qui sont autant de moteurs à l'interrogation métaphysique ... ou à la névrose.

De nos jours, l'ego, semble, d'une certaine manière, présenter des signes d'usure. La désagrégation de structures familiales et sociales conventionnelles entraîne un manque de cohésion de la structure égocentrique du mental chez de nombreux individus, qui par conséquent, deviennent, plus réceptifs au non-moi. Or, il existe deux sortes de non-moi ; un premier, relatif, comme par exemple l'Anima, qui est le non-moi de l'individu mâle identifié à son Animus ; et un second, absolu, qui est le Soi ... tout au moins tel que le moi refuse habituellement de le ressentir.

Toute défaillance structurelle du moi provoque donc une réceptivité spontanée au non-moi. La défaillance de l'Animus entraîne une réception à l'Anima, assurément de plus en plus fréquente chez la gente masculine occidentale. Quant aux défaillances plus fondamentales encore, elles peuvent dévoiler le réel transcendant qui, s'il est reconnu comme tel, sera vécu comme une illumination, et sinon comme un délire psychotique.

Nul n'ignore, malheureusement, que la psychopathologie connaît une augmentation constante, voire exponentielle ; depuis quelques décennies et que la composante mystique accompagne une écrasante majorité de cas. Avec un peu d'humour, on pourrait donc regretter que la société occidentale, en tuant Dieu, ne l'ait pas achevé proprement ... N'a-t-elle pas, finalement, engendré un style de misère ontologique débouchant sur des expériences paroxystiques chaotiques et violentes ? Ainsi, les malheureux qui ont eu la chance de rencontrer le spirituel, mais sans pouvoir le reconnaître, ont-ils trouvé, auprès des autorités compétentes, le réconfort d'une camisole de force. Françoise Dolto disait que les murs des asiles enfermaient une grande part de l'élite de l'humanité et nombre de psy pensent aujourd'hui que nos hôpitaux psychiatriques sont pleins de gens qui, aux Indes, seraient considérés comme des saints ...

Même sans sombrer dans la folie, beaucoup d'entre eux qui reconnaissent l'esprit comme tel, mais ne savent pas comment se comporter face à l'irruption de cette Conscience tellement plus large, gâchent souvent leurs forces spirituelles...(...)... A l'inverse de l'exaltation traditionnelle d'un Perceval qui, dans son ignorance et sa naïveté juvénile, confondait la tente d'une Damoiselle avec la Maison de dieu, le contemporain non-initié aurait tendance à douter de la réalité de l'expérience spirituelle, dans la mesure où elle n'est, précisément, pas conforme à ce que l'on appelle "la réalité" à notre époque.

Dialogue ou unité

C'est là, de toute évidence, un effet pervers du manque de référence traditionnelle, de l'absence de religion. C'est pourquoi, même si, les religions sont la cause de nombreux maux, de drames et de guerres dans le monde, même si elles falsifient le message de la Tradition et s'opposent bien souvent à la spiritualité authentique, leur suppression pure et simple est considérée par certains, sans doute à juste titre, comme un remède pire que le mal.

Pour préserver la religion sans tomber dans l'intégrisme, d'aucuns proposent le dialogue inter-religieux ...(...)... Mais les adeptes du dialogue inter-religieux et ceux de l'unité transcendante des religions ressemblent plus à des adversaires qu'à des compagnons de route...(...)... On se demande si le désir de dialogue est bien honnête, et si ce regroupement des forces de la religiosité ne correspondrait pas plutôt à une offensive du désespoir contre la désaffection grandissante des temples et des églises au profit d'un matérialisme mondial.»


© Jean-Claude Cartier **

---

* Extrait de la revue Monades n°6, janvier-février 2004, "Déclin des religions et psychopathologies",
site http://www.monades.info
* * Jean-Claude Cartier ne fait pas parti du mouvement rectoversion.

précédente - 3 - suivante

Copyright ADAP & Michel De Caso, 2004-05. Tous droits réservés, pour tous pays.





accueil du cercle