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Dans son livre "Dieu et la révolution du dialogue",
Jean Mouttapa rappelle que "toutes les grandes religions du
monde se sont créées contre les autres". Pourtant
le dialogue inter-religieux semble bien engagé. "Un
processus est en marche", précise encore Jean Mouttapa,
"qui fera bientôt du dialogue avec la foi des autres
une des données centrale de l'expérience religieuse".
Il
y a, dans la spiritualisation de l'humain, une phase, qui apparemment
doit correspondre au désir de créer ou d'adhérer
à une religion, où se ressent très fortement
la nécessité de penser que sa voie est la seule valable
et que les autres ne relèvent, forcément, que de l'uvre
du démon. Est-ce pour renforcer sa foi ou tout simplement
pour assurer à sa communauté un certain pouvoir à
l'extérieur et une suffisante cohésion interne que
l'on est prêt à partir en guerre contre le reste du
monde? Toujours est-il que, jusqu'à présent, appartenir
à une religion impliquait généralement de se
défier ou de se moquer des autres, mais en aucun cas de les
étudier avec impartialité et intérêt.
Il
était donc grand temps que tout cela change, car ces comportements,
compréhensibles mais néanmoins infantiles, commençaient
à desservir l'image des religions instituées et à
entraîner certaines d'entre elles sur la pente fatale de la
désaffection. D'autant que l'intérêt pour la
spiritualité ne cessant de croître, bien des gens s'informent
des différentes Traditions, lisent les maîtres et se
forgent leur propre opinion, quand ce n'est pas leur propre religion...(...)...
La
révolution du dialogue inter-religieux est donc en marche,
mais de manière relativement invisible car les médias
préfèrent évidemment faire leur une avec le
conflit israélo-palestinien plutôt qu'avec les amitiés
qui se nouent, ici ou là, entre des juifs et des musulmans.
Quant aux autorités religieuses et à leurs tentatives
de réunions cuméniques, elles planent trop au-dessus
des réalités humaines pour permettre un véritable
renouveau spirituel, une révolution des consciences...(...)...
Cependant,
la tension inter-religieuse est actuellement au moins aussi forte
que les tentatives de dialogue...(...)... ce ne sont pas tant les
résurgences du passé qui semblent le plus perturber
les adeptes du dialogue inter-religieux, mais bien ce qui constitue
pour eux le grand danger : la religiosité mondialiste, sans
identité ethnique.
Cette religion mondiale sans nom ne constitue cependant une entité
à part entière que pour ses adversaires car, observée
d'un peu plus près et sans parti pris, elle s'avère
extrêmement disparate. On y trouve le fameux mouvement new
age, ainsi que diverses tendances plus ou moins spiritualistes,
telles que celle consistant à essayer diverses voies traditionnelles,
de préférence exotiques, sans jamais se fixer, et
enfin cette espèce de syncrétisme post-moderne tant
critiqué par les adeptes de religions instituées...Voire
"l'intégration" chère à Douglas Harding.
La
nostalgie de l'âge d'or
Le
new age, même s'il se complet dans le multiculturel,
n'a pas grand rapport avec la spiritualité. Créée
à la fin des années soixante-dix par quelques hippies
Californiens qui ne voulaient pas s'avouer vaincus, l'appellation
"new age", ou nouvel âge, désigne l'ère
astrologique du verseau, où nous entrons, censée représenter
un tournant essentiel dans l'histoire de l'humanité dans
la mesure où le symbolisme de ce signe implique l'accession
à une conscience plus spirituelle et à un sens de
la communauté accru...(...)...
Mais
on chercherait en vain la plus petite trace d'idéologie directrice.
Aucune définition précise du mouvement, de ses buts
réels, de ses moyens, ne permet à quiconque de savoir
s'il en est ou non. Il est d'ailleurs amusant de constater que la
plupart des adeptes du mouvement new age condamne ouvertement le
mouvement new age ... On retrouve le même phénomène
dans les sectes...(...)...
Du
vagabondage au syncrétisme
...(...)...
De tout temps, le chercheur débutant a eu le choix entre
deux erreurs aussi grossières qu'inévitables : l'enferment
dans une religion ou une secte exclusive, ou, au contraire, le vagabondage
de l'une à l'autre....(...)... Globalement, il existe des
méthodes visant à remettre de l'ordre dans le psychisme
en vue d'obtenir un moi, meilleur, et des techniques dites d'éveil
dont l'objectif est de relativiser ce psychisme et soutenir sa dissolution
lorsque le temps est venu de le faire. En conséquence, user
de techniques pouvant disloquer brutalement la cohérence
chèrement acquise de l'ego, si l'on désire nullement
lâcher prise, conduit inévitablement à de fâcheuses
conséquences sur la santé mentale.
Autre
tendance à la mode, le syncrétisme, obligatoirement
à l'uvre
en ces temps de métissages, consiste à combiner différentes
doctrines. Là encore, rien de nouveau puisque le syncrétisme
a toujours été le principal tuteur de l'évolution
de la religiosité... en même temps que l'ennemi juré
des religions instituées...(...)...
Spiritualité
ou barbarie
Indéniablement,
ce que craint tout adepte d'une religion, c'est que cette religion
disparaisse, car elle représente son ego de sublimation.
Qu'il se rassure, tant qu'il lui reste attaché, elle ne disparaîtra
pas avant lui. Mais actuellement, après un siècle
de matérialisme forcené, la spiritualité non
organisée telle que l'annonçait Krishnamurti semble
menacer beaucoup de religions. Alors, pour poursuivre, elles tentent
le dialogue inter-religieux qui n'est, en fait, qu'une adaptation,
sympathique mais finalement très politique, à la tendance
générale d'universalisation de la spiritualité...(...)...
Enfin,
on est en droit de s'interroger, aujourd'hui plus que jamais, sur
la nécessité d'une appartenance religieuse ou la présence
d'un maître. Sans doute, la majorité a-t-elle besoin
d'une aide extérieure, mais tout individu recèle en
lui-même son propre Guru, et l'on sait que c'est le seul véritable
Guru. "Certains
chercheurs de la Vérité veulent avancer sans gourou",
disait Ma Ananda Moyi, "car dans leur Voie l'accent est mis
sur l'action personnelle, sur le fait qu'ils ne doivent compter
que sur leurs propres efforts. Dans le cas d'une personne qui accomplit
une sadhana sous l'impulsion d'une aspiration intense et qui compte
sur ses propres forces, l'Etre Suprême se révélera
Lui-même d'une manière spéciale, du fait de
l'intensité de cet effort individuel. Sans aucun doute, ce
pouvoir du gourou peut uvrer d'une façon spéciale
par la confiance en soi, de sorte que tout enseignement extérieur
n'est plus nécessaire."
Qu'adviendra-t-il,
demain? Nul ne peut le dire, mais chacun peut prendre son pari.
Certains prennent celui d'une mutation, par le dialogue dans les
religions, leur assurant une continuité. D'autres parient
sur une individualisation croissante de la recherche spirituelle
avec une libre référence aux diverses Traditions du
monde. D'autres, enfin, croient à l'établissement
d'une Tradition mondiale née du syncrétisme final,
celui de la fin du temps des Traditions divisées. Quelle
que soit la solution pour laquelle optera l'histoire, on ne peut
qu'espérer qu'elle coïncidera avec la perte de vitesse
des intégrismes et des archaïsmes, et que la réponse
spirituelle sera adaptée au monde tel qu'il est déjà
aujourd'hui et sera encore demain.»
©
Jean-Claude Cartier **
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Extrait de la revue Monades n°6, janvier-février 2004,
"Dialogue
inter-religieux ou religion mondiale",
site http://www.monades.info
** Jean-Claude Cartier ne fait pas parti du mouvement
rectoversion.
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