I
/ Sur le besoin de reconnaissance des artistes
Nombreux
sont les artistes qui pratiquent leur art pour « être
aimés » et « être reconnus », ces
expressions étant prises dans leur sens psychologique le
plus large. Leur
pratique artistique serait-elle « larbre qui cache la
forêt » ?
On
peut émettre quelques réserves. Dabord, ce besoin
de reconnaissance psychologique ne concerne pas, loin sen
faut, uniquement les artistes. Ensuite,
même si lon admet que cette reconnaissance psychologique
est lun des moteurs de la créativité artistique,
à partir du moment où lartiste a la capacité
de la transcender par lexposition de son travail artistique,
le public sera à même den bénéficier.
La motivation personnelle initiale se prolonge alors dans le public.
Par ce prolongement, elle devient autre et échappe à
ses propres limites individuelles. Elle est comme létincelle
initiale dun feu partagé.
En
outre, ce besoin dêtre « reconnu » nest
pas toujours exprimé par la reconnaissance professionnelle.
Que lon soit artiste ou pas, on peut très bien résoudre,
même imparfaitement, ce besoin de reconnaissance psychologique.
Aussi,
peut-on penser qu'il serait simpliste daffirmer que les motivations
profondes de tous les artistes sont exclusivement de lordre
de la reconnaissance psychologique. Dailleurs, pour quun
artiste dure dans le temps, il lui est vivement conseillé
de ne rien attendre du milieu artistique et ledit artiste aura tout
intérêt à ne pas espérer y obtenir une
quelconque reconnaissance psychologique réelle. Tout au plus,
celle-ci pourra être une illusion dans la mesure où
elle entraînera la satisfaction de critères tout différents.
Un artiste sera en effet dautant "aimé"et
"reconnu psychologiquement" que son uvre procurera
des gains conséquents. Est-ce la poule qui fait luf,
ou luf qui fait la poule ? Qui le sait vraiment ?
Enfin,
le fait dêtre artiste ou de travailler dans le domaine
artistique ne dispense en rien dêtre affublé
des défauts et qualités habituels des autres professions.
Sur le plan humain, les artistes ne sont ni pires, ni meilleurs
que les autres. Leur spécificité tient surtout au
fait quils ont une pratique artistique. Sil ne fait
aucun doute quil existe des artistes égocentriques,
leur égocentrisme est bien plus un trait de leur caractère
quune conséquence de leur pratique artistique et il
nest même pas évident que ce trait de caractère
soit plus fréquent chez eux. Tout au plus pouvons-nous envisager
que légocentrisme est plus visible chez les artistes
du fait de leur pratique qui est amenée à "sexposer".
Mais si lon va au-delà de ce "contact au public",
on pourra facilement constater que légocentrisme est
un des traits de caractère les plus fréquemment partagés
chez les êtres humains.
II/
Sur la singularité artistique
La
singularité ne semble pas de saison, ce qui peut paraître
être un comble, quand on se place sur le terrain de la création
artistique. Si l'on constate qu'aucune prise de risque n'est prise
par ceux et celles qui seraient censés promouvoir les oeuvres
singulières, c'est probablement parce que les critères
sélectifs sont d'une autre nature que ceux de la recherche
"objective" de la singularité.
Si
l'on prend le domaine des arts plastiques, globalement depuis la
fin de la deuxième guerre mondiale, l'histoire de l'art n'est
plus faite par les artistes proprement dits mais plutôt par
les critiques ou apparentés. En soi, ce constat n'est pas
négatif, surtout lorsque les critiques en question s'avèrent
être de bons critiques. Par contre, à ce jeu d'abandon
de l'expérimentation théorique aux mains des "non-praticiens",
les artistes ont largement minoré leur autonomie de pensée.
On sait que le processus créatif, fragile et fugace, peut
être considéré comme un moment non maîtrisé
susceptible de ne pas être reproduit à la demande.
Pourtant, rien ne semble pouvoir casser cette énergie créatrice
et, même si le succès et la reconnaissance peut parfois
lui nuire, il n'en demeure pas moins que l'artiste est aussi un
homme ou une femme de son temps. A ce titre, il doit faire face
à des obligations auxquelles sont confrontés tous
les autres membres de la société.
Dans
ce contexte d'abandon intellectuel et d'obligation de faire face
à la vie, nombreux sont les artistes qui pratique un art
convenu. Ils deviennent des témoins de leur temps. Ils décrivent.
Leurs uvres sont le reflet de leur époque, époque
écartelée entre matérialisme et néo-spiritualisme
où les adultes se prennent pour des enfants tandis que les
enfants se prennent pour des adultes. Récemment, un philosophe
résumait notre société par la formule "la
société des artistes sans uvres", on
ne pourrait être plus explicite sur la mégalomanie
ambiante et le désuvrement des artistes.
Probablement,
la résistance est possible mais il est extrêmement
difficile de la partager et, condamnée à l'isolement,
elle perd beaucoup de son efficacité. Alors,
défendre la singularité relève du défi.
Fabrice Bianchi a très bien exprimé la position intenable
de l'artiste (voir son article L'incommunicable en art dans
le Journal n°3, page 2). Certes,
les artistes ne valent pas mieux que les autres êtres humains.
Ils sont ni pires ni meilleurs. Il n'empêche que leur spécificité
tient au fait qu'ils pratiquent un art et c'est pourquoi on les
aime. La vie sans art serait en effet d'une animalité exclusive.
Même si on adhère à la pensée de Nietzche
selon laquelle "l'art est là pour nous empêcher
de mourir de la vérité", l'art singulier
nous donne à respirer ... alors respirons ! Mais comme les
choses sont souvent contradictoires, laissons le dernier mot à
Céline, écrivain singulier s'il en est, qui disait
quelque part : "que celui qui croit en l'homme soit prêt
à y laisser la vie...".
©
Michel De Caso
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Textes passés en partie dans le forum de France-Culture "la
place de l'artiste dans la cité d'aujourd'hui", janvier
2004.
http://www.radiofrance.fr/
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