RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 5 - février 2005

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Tsunami meurtrier :
optimisme, pessimisme *
par Michel De Caso

Après la catastrophe du Tsunami en Asie du Sud-Est du 26 décembre 2004 et son terrible bilan, les propos "philosophiques" semblent bien dérisoires. A un certain niveau, ils le sont effectivement. Pourtant, passé le choc, il faut bien que chacun puisse reprendre ses activités habituelles non sans avoir rendu un coup de chapeau appuyé aux sauveteurs qui s'occupent de l'urgence et de la future reconstruction.

Je ne reviendrai donc pas sur le bilan humain effroyable de cette catastrophe mais vais tout de même essayer d'analyser - brièvement - ce que l'on peut en retenir sur le plan sociologique. On constate que les dons financiers atteignent des niveaux jamais atteints. Cet embrasement humanitaire a été à la hauteur certes de la catastrophe mais il y a aussi des raisons moins directes, liées à l'évolution au long cours des consciences. Toutes les différences de religions, de races, de classes semblent en effet avoir été gommées dans cet élan général de solidarité. Manifestement, la mondialisation des consciences dont on parle depuis une trentaine d'années s'est cristallisée autour de cette aide mondiale et le fait que l'origine de la catastrophe ait été strictement d'ordre naturel n'a fait qu'amplifier le phénomène d'union sacrée humanitaire. L'espèce humaine menacée devant la nature a fait fi de ses conflits. Comme l'a parfaitement exprimé le philosophe Michel Serres (1) : « le choc des civilisations a été balayé par le choc tectonique.»

Les optimistes verront dans cette union une raison primordiale de croire en l'avenir. Les pessimistes resteront convaincus que cette union n'est que ponctuelle et que rapidement, les lois humaines d'intolérance et de dogmatisme reprendront leurs cours normaux. Pour ma part, je suis incapable de prendre position pour l'une ou l'autre des positions. Comme les optimistes, je ne nie pas que l'espace et le temps subissent une compression et que donc, cette notion de mondialisation des consciences soit une réalité. Mais comme les pessimistes, je suis convaincu que cette union sacrée sera de courte durée. De plus, il est probable que de telles unions sacrées ont déjà dû se produire lors de catastrophes d'origine naturelle du passé. Ce dernier point me semble important car lorsque le responsable de la catastrophe n'est pas humain, l'union sacrée en question peut plus facilement se concrétiser.

Et puis, on en arrive inévitablement à cette question : le tremblement de terre du 26 décembre qui a déclenché le Tsunami meurtrier obéit-il à une logique exclusivement naturaliste, c'est-à-dire physique ? Le matérialiste répondra sans hésiter de façon affirmative à cette question. Le religieux consolera ses fidèles en usant de la logique propre à sa religion. Il pourra invoquer la punition divine ou tout autre dogme ayant fait ses preuves. Le spiritualiste prendra le tremblement de terre au mot en spécifiant bien que la terre a tremblée. S'il est d'un tempérament pessimiste, il parlera d'un tremblement de colère confirmant la fin du Kali-Yuga. S'il est optimiste, il mettra en avant cet événement comme une date fondatrice de la nouvelle conscience humaine dont j'ai parlé tout à l'heure.

Finalement, on en revient à ces notions d'optimisme et de pessimisme. Notre tempérament dicterait-il à notre insu notre façon de penser ? Je l'ai souvent pensé et crois que nos convictions sont en effet liées à nos caractères. Dans l'un de ses livres, René Nelli explique à un moment cette singularité humaine qui, si elle était divulguée, éviterait peut-être bien des conflits !

« Nos convictions, je le sais, ne reflètent que la nature de nos tempéraments particuliers : elles sont justiciables de la caractérologie de chacun. Cela suffit à leur enlever à peu près toute valeur. C'est toujours mon portrait que je trace. Il y a des esprits qui sont portés, du fait de leur humeur native, à tout imaginer, partant, à tout concevoir selon un schéma de continuité. Un optimisme inné leur donne confiance en toutes les vertus possibles de l'évolution. Pour eux, tout évolue : la matière devient esprit, l'homme devient surhomme, le temps devient l'éternel ; dieu lui-même "devient".
...(...)...
Il en est d'autres - j'appartiens à leur groupe sans l'avoir fait exprès et sans plus de raisons, je le reconnais, et sans croire surtout que ces raisons seraient plus décisives - qui sont déterminés, aussi naturellement, à penser que des barrières néantisantes séparent de façon absolue les différents ordres ontologiques.
...(...)...
Pour les uns, peu importe qu'ils soient communistes, catholiques ou musulmans, la fin des temps sera réussie : on y verra la société sans guerre, sans classes, sans crimes, sans maladies. Le nombre des condamnés à l'enfer, au jour du jugement, sera minime. Pour les autres, c'est tout le contraire : le cosmos finira très mal : par une explosion du soleil ou l'éclatement de la terre ; et le catholique pessimiste tremble à l'idée qu'il y aura peu d'élus et que peut-être il ne sera pas du nombre.»(2)

Aussi, en accord avec René Nelli (3), je laisserai à chacun sa façon d'appréhender l'après Tsunami. La mienne restera contradictoire sauf sur un point que René Nelli ne contredirait sans doute pas :
The show must go on ! (4)


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(1) Formule que Michel Serres a exprimée au téléphone face à Jean-Claude Bourdin, émission radiophonique "Bourdin and C°", R.M.C., le 4 janvier 2005.
« Philosophe, historien des sciences, Académicien, professeur à l'Université de Stanford [Californie], né à Agen en 1930, Michel Serres est connu comme un des rares penseurs optimistes de notre temps. Son dernier livre " Rameaux ", tourné vers l'avenir, est porteur d'espoir. " Il faut, dit-il, arrêter de porter le deuil du passé. Nous devons regarder le monde avec un œil neuf, ne pas ressasser ". La période dans laquelle nous vivons est génératrice de nombreuses angoisses. Les déséquilibres de la nature, le non partage des richesses, les nouvelles technologies… du clonage au réchauffement de la planète, nous avons, reconnaît le philosophe, maintes raisons de nous inquiéter pour l'avenir. Mais nous rappelle-t-il, les hommes ont traversé d'autres périodes de grands changements, comme le néolithique ou la Renaissance et ils ont trouvé les solutions pour s'adapter. " Je ne dis pas qu'il ne faille pas se poser des questions, précise Michel Serres, mais les catastrophes se vendent bien mieux que les bonnes nouvelles. Donc, il y a une surélévation de l'inquiétude ; à cause de cette obsession du risque zéro qui taraude notre époque. Ce livre, je le destine à mes petits enfants, pour que les générations futures soient plus à l'aise. Politiquement, institutions, enseignement… il faut tout repenser dans ce monde qui n'est plus vraiment adapté. Il faut inventer. C'est un chantier enthousiasmant. »
Extrait de La Dépêche du Midi, mardi 7 décembre 2004, suite à l'invitation de Michel Serres au Sorano par la librairie Ombres Blanches de Toulouse. Reconnaissons que cet extrait est à propos, suite au Tsunami du lendemain du Noël dernier.

(2) « Journal spirituel d'un cathare d'aujourd'hui », René Nelli, Edition Resma, 1970, page 97 à 99.

(3) « Il est né à Carcassonne en 1906 et, depuis sa mort dans cette même ville en 1982, l'homme d'Occitanie semble découvrir René Nelli dont le nom est définitivement attaché- entre autres- au renouveau de la recherche sur le catharisme. Anne Brenon écrit de lui : "Ami du Saint Graal, érudit romaniste et médiéviste, philosophe du fatidique et poéticien de l'amour, grand poète occitan et poète français majeur du XX° siècle, ethnologue du génie d'oc et anthropologue de l'homme méridional, penseur authentiquement dualiste et précurseur de la nouvelle recherche cathare, René Nelli témoigne par son abondante oeuvre éditée, qu'il fut également et excellemment tout cela."("Le prince de Montségur" in Pyrénées magazine été 2001). Quel plus bel hommage rendre à celui qui tenta de prodigieuses descentes au cœur de la pensée hérétique, effectua de fabuleuses ascensions sur les hauteurs de l'érotique des troubadours, s'abîma si souvent dans les vertiges du monde du mélange... pour en remonter en souriant, comme toujours ? Le temps qui passe va mettre Nelli au programme des écoles et ses textes, qui n'ont rien de faciles, vont peu à peu s'emparer des nouvelles générations qui seront passionnées par leur pays. Voilà un penseur et un auteur majeur dont on n'a pas fini de parler.»
extrait de www.terres-cathares.com/perso-nelli.html

(4) « le spectacle doit continuer », titre emblématique des « Queen », que l'on rapprochera aisément de l'autre expression « la comédie humaine continue ».

© Michel De Caso

* Texte passé dans le club cathares.org en janvier 2005.

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