Après
la catastrophe du Tsunami en Asie du Sud-Est du 26 décembre
2004 et son terrible bilan, les propos "philosophiques"
semblent bien dérisoires. A un certain niveau, ils le sont
effectivement. Pourtant, passé le choc, il faut bien que
chacun puisse reprendre ses activités habituelles non sans
avoir rendu un coup de chapeau appuyé aux sauveteurs qui
s'occupent de l'urgence et de la future reconstruction.
Je ne reviendrai donc pas sur le bilan humain effroyable de cette
catastrophe mais vais tout de même essayer d'analyser - brièvement
- ce que l'on peut en retenir sur le plan sociologique. On constate
que les dons financiers atteignent des niveaux jamais atteints.
Cet embrasement humanitaire a été à la hauteur
certes de la catastrophe mais il y a aussi des raisons moins directes,
liées à l'évolution au long cours des consciences.
Toutes les différences de religions, de races, de classes
semblent en effet avoir été gommées dans cet
élan général de solidarité. Manifestement,
la mondialisation des consciences dont on parle depuis une trentaine
d'années s'est cristallisée autour de cette aide mondiale
et le fait que l'origine de la catastrophe ait été
strictement d'ordre naturel n'a fait qu'amplifier le phénomène
d'union sacrée humanitaire. L'espèce humaine menacée
devant la nature a fait fi de ses conflits. Comme l'a parfaitement
exprimé le philosophe Michel Serres (1) : « le choc
des civilisations a été balayé par le choc
tectonique.»
Les optimistes verront dans cette union une raison primordiale de
croire en l'avenir. Les pessimistes resteront convaincus que cette
union n'est que ponctuelle et que rapidement, les lois humaines
d'intolérance et de dogmatisme reprendront leurs cours normaux.
Pour ma part, je suis incapable de prendre position pour l'une ou
l'autre des positions. Comme les optimistes, je ne nie pas que l'espace
et le temps subissent une compression et que donc, cette notion
de mondialisation des consciences soit une réalité.
Mais comme les pessimistes, je suis convaincu que cette union sacrée
sera de courte durée. De plus, il est probable que de telles
unions sacrées ont déjà dû se produire
lors de catastrophes d'origine naturelle du passé. Ce dernier
point me semble important car lorsque le responsable de la catastrophe
n'est pas humain, l'union sacrée en question peut plus facilement
se concrétiser.
Et
puis, on en arrive inévitablement à cette question
: le tremblement de terre du 26 décembre qui a déclenché
le Tsunami meurtrier obéit-il à une logique exclusivement
naturaliste, c'est-à-dire physique ? Le matérialiste
répondra sans hésiter de façon affirmative
à cette question. Le religieux consolera ses fidèles
en usant de la logique propre à sa religion. Il pourra invoquer
la punition divine ou tout autre dogme ayant fait ses preuves. Le
spiritualiste prendra le tremblement de terre au mot en spécifiant
bien que la terre a tremblée. S'il est d'un tempérament
pessimiste, il parlera d'un tremblement de colère confirmant
la fin du Kali-Yuga. S'il est optimiste, il mettra en avant cet
événement comme une date fondatrice de la nouvelle
conscience humaine dont j'ai parlé tout à l'heure.
Finalement, on en revient à ces notions d'optimisme et de
pessimisme. Notre tempérament dicterait-il à notre
insu notre façon de penser ? Je l'ai souvent pensé
et crois que nos convictions sont en effet liées à
nos caractères. Dans l'un de ses livres, René Nelli
explique à un moment cette singularité humaine qui,
si elle était divulguée, éviterait peut-être
bien des conflits !
« Nos convictions, je le sais, ne reflètent que la
nature de nos tempéraments particuliers : elles sont justiciables
de la caractérologie de chacun. Cela suffit à leur
enlever à peu près toute valeur. C'est toujours mon
portrait que je trace. Il y a des esprits qui sont portés,
du fait de leur humeur native, à tout imaginer, partant,
à tout concevoir selon un schéma de continuité.
Un optimisme inné leur donne confiance en toutes les vertus
possibles de l'évolution. Pour eux, tout évolue :
la matière devient esprit, l'homme devient surhomme, le temps
devient l'éternel ; dieu lui-même "devient".
...(...)...
Il en est d'autres - j'appartiens à leur groupe sans l'avoir
fait exprès et sans plus de raisons, je le reconnais, et
sans croire surtout que ces raisons seraient plus décisives
- qui sont déterminés, aussi naturellement, à
penser que des barrières néantisantes séparent
de façon absolue les différents ordres ontologiques.
...(...)...
Pour les uns, peu importe qu'ils soient communistes, catholiques
ou musulmans, la fin des temps sera réussie : on y verra
la société sans guerre, sans classes, sans crimes,
sans maladies. Le nombre des condamnés à l'enfer,
au jour du jugement, sera minime. Pour les autres, c'est tout le
contraire : le cosmos finira très mal : par une explosion
du soleil ou l'éclatement de la terre ; et le catholique
pessimiste tremble à l'idée qu'il y aura peu d'élus
et que peut-être il ne sera pas du nombre.»(2)
Aussi, en accord avec René Nelli (3), je laisserai à
chacun sa façon d'appréhender l'après Tsunami.
La mienne restera contradictoire sauf sur un point que René
Nelli ne contredirait sans doute pas :
The show must go on ! (4)
---
(1) Formule que Michel Serres a exprimée au téléphone
face à Jean-Claude Bourdin, émission radiophonique
"Bourdin and C°", R.M.C., le 4 janvier 2005.
« Philosophe, historien des sciences, Académicien,
professeur à l'Université de Stanford [Californie],
né à Agen en 1930, Michel Serres est connu comme un
des rares penseurs optimistes de notre temps. Son dernier livre
" Rameaux ", tourné vers l'avenir, est porteur
d'espoir. " Il faut, dit-il, arrêter de porter le deuil
du passé. Nous devons regarder le monde avec un il
neuf, ne pas ressasser ". La période dans laquelle nous
vivons est génératrice de nombreuses angoisses. Les
déséquilibres de la nature, le non partage des richesses,
les nouvelles technologies
du clonage au réchauffement
de la planète, nous avons, reconnaît le philosophe,
maintes raisons de nous inquiéter pour l'avenir. Mais nous
rappelle-t-il, les hommes ont traversé d'autres périodes
de grands changements, comme le néolithique ou la Renaissance
et ils ont trouvé les solutions pour s'adapter. " Je
ne dis pas qu'il ne faille pas se poser des questions, précise
Michel Serres, mais les catastrophes se vendent bien mieux que les
bonnes nouvelles. Donc, il y a une surélévation de
l'inquiétude ; à cause de cette obsession du risque
zéro qui taraude notre époque. Ce livre, je le destine
à mes petits enfants, pour que les générations
futures soient plus à l'aise. Politiquement, institutions,
enseignement
il faut tout repenser dans ce monde qui n'est
plus vraiment adapté. Il faut inventer. C'est un chantier
enthousiasmant. »
Extrait de La Dépêche du Midi, mardi 7 décembre
2004, suite à l'invitation de Michel Serres au Sorano par
la librairie Ombres Blanches de Toulouse. Reconnaissons que cet
extrait est à propos, suite au Tsunami du lendemain du Noël
dernier.
(2)
« Journal spirituel d'un cathare d'aujourd'hui », René
Nelli, Edition Resma, 1970, page 97 à 99.
(3)
« Il est né à Carcassonne en 1906 et, depuis
sa mort dans cette même ville en 1982, l'homme d'Occitanie
semble découvrir René Nelli dont le nom est définitivement
attaché- entre autres- au renouveau de la recherche sur le
catharisme. Anne Brenon écrit de lui : "Ami du Saint
Graal, érudit romaniste et médiéviste, philosophe
du fatidique et poéticien de l'amour, grand poète
occitan et poète français majeur du XX° siècle,
ethnologue du génie d'oc et anthropologue de l'homme méridional,
penseur authentiquement dualiste et précurseur de la nouvelle
recherche cathare, René Nelli témoigne par son abondante
oeuvre éditée, qu'il fut également et excellemment
tout cela."("Le prince de Montségur" in Pyrénées
magazine été 2001). Quel plus bel hommage rendre à
celui qui tenta de prodigieuses descentes au cur de la pensée
hérétique, effectua de fabuleuses ascensions sur les
hauteurs de l'érotique des troubadours, s'abîma si
souvent dans les vertiges du monde du mélange... pour en
remonter en souriant, comme toujours ? Le temps qui passe va mettre
Nelli au programme des écoles et ses textes, qui n'ont rien
de faciles, vont peu à peu s'emparer des nouvelles générations
qui seront passionnées par leur pays. Voilà un penseur
et un auteur majeur dont on n'a pas fini de parler.»
extrait de www.terres-cathares.com/perso-nelli.html
(4)
« le spectacle doit continuer », titre emblématique
des « Queen », que l'on rapprochera aisément
de l'autre expression « la comédie humaine continue
».
©
Michel De Caso
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Texte passé dans le club
cathares.org en janvier 2005.
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