Dans
le numéro précédent, j'avais consacré
un article au terrible tsunami dans l'Asie du sud-Est. On retrouve
ici ce mot tsunami à propos de l'embrasement médiatique
qui s'est cristallisé autour des obsèques du pape
Jean-Paul II. Bien sûr, il ne s'agit pas de comparer en soi
les deux événements qui ne sont pas comparables. Il
s'agit plutôt de comprendre le mot tsunami comme pouvant
nommer un phénomène d'une ampleur planétaire
et, à ce titre, il me semble que l'emballement médiatique
qui a entouré les obsèques du pape peut bel et bien
être considéré comme un tsunami médiatique.
Au-delà
de cet aspect médiatique qui est éminemment révélateur
de notre société du spectacle, il est difficile de
passer sous silence la fameuse prophétie de Malachie qui
apparaît, avec l'élection du pape Benoît XVI,
d'une singulière actualité. Coïncidence, affabulation,
prophétie réelle? Cette approche nous plonge en plein
irrationnel mais le fait de juxtaposer l'irrationnel à l'analyse
la plus rationnelle ne me paraît pas aberrant, sous réserve
d'essayer de ne pas dire n'importe quoi et de ne tomber ni dans
les chimères de la raison, ni dans celles de la déraison.
Santo subito, le tsunami médiatique
Les
pèlerins qui étaient sur la place St Pierre au moment
des obsèques de Jean-Paul II ont demandé sa canonisation
immédiate en brandissant des calicots sur lesquels on pouvait
lire «
santo subito »
(saint tout de suite). Déjà, les procès
en canonisation s'étaient singulièrement accélérés
pour Mère Thérésa puisque celui-ci avait eu
lieu seulement dix huit mois après sa mort bien que la constitution
apostolique stipule d'attendre cinq ans.
Si
la mort d'un pape est en soi un événement important,
le compte rendu médiatique extrême qui a entouré
cet événement en a fait un événement
mondial, un véritable tsunami médiatique pour reprendre
l'expression de nombreux chroniqueurs.
Mon
propos n'est ici ni de dénigrer Karol Wotjila (Jean-Paul
II) ni même l'Eglise catholique. J'interviens pour mettre
en exergue combien le décès du pape a été
révélateur d'un délire télévisuel
et combien l'Eglise catholique semble parfaitement s'accommoder
de la dérive cathodique.
Karol Wotjila, un pape au service de l'Eglise
Dans
son histoire, l'Eglise catholique a toujours su manier les images
et elle n'a jamais hésité à jouer sur des rituels
extrêmement visuels. Nous n'avons pas à être
surpris qu'elle ait embrassé si facilement la sphère
télévisuelle apte à amplifier mondialement
son message et ses rites.
C'est
depuis Pie XII que l'Eglise romaine considère la télévision
comme un moyen privilégié de propagation de l'évangile.
Pour les fidèles qui ne peuvent assister physiquement à
la messe dominicale et qui souhaitent tout de même communier,
les autorités ecclésiastiques les encouragent à
assister à la messe à la télévision.
Enfin, il faut noter que les médias suivaient depuis longtemps
la maladie de Jean-Paul II. Ainsi, même si l'Eglise reconnaît
évidemment que la foi traite de la relation intime et si
particulière que chacun entretient avec Dieu, elle ne refuse
pas d'accompagner son message religieux d'images ou d'icônes
appropriées, et quoi de plus actuel que le relais télévisuel.
Ancien
acteur de théâtre, Karol Wotjila avait le sens de la
mise en scène et de la comédie. L'Eglise avait trouvé
en lui un pape à la hauteur de son sens du spectacle. Jean
Paul II, en effet, a été en perpétuelle représentation
et a effectivement exporté son message sur une scène
désormais planétaire. Il faut croire que Karol Wojtila
avait trouvé une scène à la hauteur de toutes
ses espérances, la scène mondiale. Certains le considéraient
comme mystique. C'est probable et on peut penser qu'il était
engagé au plus profond de son être dans la certitude
de sa foi. Un tel leader sera difficile à remplacer, à
la fois très moderne quant à l'utilisation des médias
et conservateur sur bien des sujets.
L'Eglise
utiliserait-t-elle la manne télévisuelle plus pour
ses atouts techniques que par adhésion idéologique
à la culture médiatique ? Les réticences traditionnelles
de l'Eglise pour les progrès techniques seraient-elles toujours
effectives mais mises en veilleuse devant l'efficacité flagrante
de la « vidéosphère » (expression
de Régis Debray). Il est difficile de répondre à
ces questions. Ce qui est sûr, c'est que si l'Eglise ne fait
qu'utiliser le monde médiatique pour des raisons stratégiques,
cela pose encore une fois la question de la fin et des moyens.
A
ce jeu d'identification au spectacle télévisuel, l'Eglise
ne risque-t-elle pas d'y perdre son âme ? En d'autres termes,
à jouer si parfaitement le jeu du spectacle médiatique,
va-t-elle être crédible sur la pertinence de son message
? C'est loin d'être évident et l'emballement médiatique
des obsèques de Jean-Paul II pourraient bien masquer les
difficultés profondes auxquelles elle est confrontée.
La prophétie de Malachie (1)
Rappelons
que si la prophétie de Malachie ou de Saint Malachie
(2) est attribuée à un évêque d'Irlande
qui naquit en 1094 et décéda à Clairvaux en
1148, elle ne fut publiée qu'en 1595 par Arnold de Wion.
Cette prophétie évoque 111 papes depuis Célestin
II (1143-1144) à travers 111 devises latines qui sont censées
correspondre à chacun des papes. Or, Jean-Paul II était
le 110° pape sur la liste de Malachie. Le pape actuel, Benoît
XVI, est donc le 111° et la sentence attribuée est :
« De gloria Olivae » (De la gloire de l'olivier).
Si
l'Eglise de Rome n'a jamais reconnu cette prophétie, elle
ne l'a jamais pour autant condamnée. Par ailleurs, il est
indéniable que les prélats et tout spécialement
Jean-Paul II connaissaient cette prophétie. Serait-ce cette
raison qui expliquerait son long règne, poursuivi jusqu'à
la mort, malgré la maladie handicapante? Peut-être.
Le fait est là que la devise attribuée au 110°
pape, c'est-à-dire à Jean-Paul II est : « De
labore solis » (Du travail du soleil). On dit que
Karol Wojtila (le futur Jean-Paul II) naquit le jour d'une éclipse
totale du Soleil (18 mai 1920). On dit aussi qu'il peut être
considéré comme une sorte de soleil symbolique qui
apportait la lumière du Christ (symbole solaire s'il en est)
lors de ses très nombreux voyages à travers le monde.
Voyageur infatigable, travailleur acharné, affaibli par la
maladie, il est allé littéralement jusqu'au bout de
ses forces alors qu'il aurait pu renoncer à sa charge quelques
années avant. Cet acharnement était-il motivé
par sa conviction profonde de croire en la prophétie de
Malachie ?
Il
est indéniable que Jean-Paul II a littéralement illuminé
le monde de sa lumière alors que l'Eglise de Rome perd régulièrement
de son audience. Sa brillance aurait été proportionnée
à la chute de l'Eglise de Rome. Le soleil Jean-Paul II aurait
tellement ébloui de ses rayons que les réels problèmes
de l'Eglise catholique seraient littéralement masqués.
Pour que cette alchimie du clair-obscur fonctionne pleinement au
profit du clair, il fallait bien que Jean-Paul II exerçât
sa mission lumineuse avec une ardeur peu commune. C'est en cela
que l'on pourrait dire qu'il fut un travailleur solaire, un soleil
laborieux, à qui la devise « De labore solis
» pourrait parfaitement convenir, sans parler de son physique
et tout spécialement de son visage bien plus solaire que
lunaire.
Soyons
honnête jusqu'au bout et reconnaissons qu'en toute logique,
si les cardinaux croyaient en la prophétie de Saint Malachie,
ils auraient dû choisir un pape plus jeune que le cardinal
Ratzinger (78 ans) de façon à prolonger au maximum
dans le temps le pontificat du 111° pape. Il y a sans doute
des raisons qui échappent. Peut-être que la prophétie
tient en elle-même la réponse puisque Malachie indique
en fait qu'il y aura un autre pape après celui dont la sentence
est « De Gloria Olivae » et ce dernier pape,
Malachie l'appelle « Petrus Romanus » (Pierre
le Romain).
C'est sous le pontificat de ce dernier que la papauté prendrait
fin et que « le Terrible Juge jugera les peuples »(3).
Au
sujet du pontificat de Benoît XVI, dont la sentence est «
De Gloria Olivae », on ne peut qu'être extrêmement
prudent pour éviter de tomber dans la spéculation
occultiste. Tout au plus peut-on signaler quelques faits qui relanceraient
l'étrange prophétie. Ainsi St Benoît de Nurcie
(480-543) est le fondateur de l'Ordre des Bénédictins
(Benoît s'écrit Benedicti en latin), ordre le plus
ancien d'occident. L'une des congrégations des Bénédictins
s'appelle les Olivétains (4). Le symbole de l'ordre des Bénédictins
et des Olivétains serait la branche d'olivier, symbole universel
de paix, en référence au rameau d'olivier amené
par la colombe à Noé lui permettant de savoir que
le niveau des eaux avait baissé.
Certes,
si l'association Benedicti/Benedictins/Olivetains/« De
Gloria Olivae » paraît séduisante, elle me
paraît rapide. En outre, depuis Benoît Ier (575-579)
, le surnom de Benoît a été porté par
15 papes avant Benoît XVI (l'avant dernier étant Benoît
XV - 1914-1922 - connu pour ses efforts pour la paix). On note aussi
que le blason de Benoît XVI ne comporte aucun symbole se rapprochant
de l'olivier (5). Même si le nouveau pape souhaite comme Benoît
XV uvrer dans la voie du pacifisme, il
semble que lui attribuer la devise « De Gloria Olivae
» soit exagéré, du moins à ce jour. Peut-être
dans quelques années, aurons-nous des éléments
qui nous feront dire que cette attribution n'était pas exagérée
mais bien prématurée ! Une telle éventualité
n'aurait rien de surprenant quand on sait le rapport étroit
traditionnellement entretenu entre les Bénédictins
et les connaissances d'ordre ésotérique.
Tout
au plus peut-on dire aujourd'hui que, selon Malachie, Benoît
XVI serait l'avant dernier pape, celui de la dernière chance.
Le 112° et dernier pape de la prophétie, « Pierre
le Romain », qui viendrait après Benoît XVI
sera-t-il un pape jeune ? Il sera intéressant d'observer
alors le choix des cardinaux mais, pour l'instant, souhaitons un
long pontificat à Benoît XVI.
Jean-Paul
II, le futur saint
Avant
de devenir Benoît XVI, successeur de Pierre, le cardinal Ratzinger
a dirigé pendant 24 ans la puissante Congrégation
pour la doctrine de la Foi. Or, on sait que cette Congrégation
est la version moderne du Saint-Office, lui-même prolongeant
la célèbre Sainte Inquisition de triste mémoire.
On nous dit que la fonction fait l'homme et que le Cardinal
Ratzinger (surnommé « le grand Inquisiteur »
par certains de ses partisans) sera différent du Joseph
Ratzinger devenu Benoît XVI ; c'est possible. On nous dit
aussi que c'est l'Esprit Saint qui a choisi le pontife ; c'est toujours
possible quoique sujet à discussion.
Ce
qui est indéniable, par contre, c'est que les cardinaux du
Sacré Collège ont considéré le Cardinal
Ratzinger comme le meilleur garant de la continuité de Jean-Paul
II, pape exceptionnel à plus d'un titre. D'ailleurs, comme
pour se relier au défunt Jean-Paul II, Benoît XVI lors
de sa première messe n'a-t-il pas repris la formule que son
prédécesseur avait exprimée lors de son élection
: « N'ayez pas peur ; ouvrez tout grand les portes du Christ
». On veut bien le croire...
Pour
l'heure, Benoît XVI a répondu favorablement au «
santo subito » des fidèles puisque il a
déclaré l'ouverture du procès en béatification
de Jean-Paul II seulement quarante deux jours après son décès.
Rappelons que la béatification est la première étape
vers la canonisation, c'est-à-dire la proclamation officielle
d'un Saint. Reste aux autorités ecclésiastiques à
constituer le dossier de béatification qui exige des preuves
de miracles réalisés par le « bienheureux
». Nul doute que ceux-là vont surgir. Déjà,
les témoignages de miracles réalisés par Jean-Paul
II, de son vivant et depuis son décès, affluent. Décidemment,
comme c'est souvent le cas, les éléments irrationnels
se mêlent de façon étrange à des éléments
plus rationnels. Pour celui qui a été l'objet du miracle,
tant mieux ! Qui peut faire vraiment la part des choses ?
Parallèlement,
certains croyants dénoncent cette accélération
de la sanctification qui viserait, selon eux, à substituer
Jean-Paul II au Christ lui-même ! Manifestement, l'Eglise
catholique paraît être à un tournant de son histoire,
ce qui nous replonge perplexe dans la prophétie de Malachie.
L'avenir reste ouvert (6)...
© Michel De Caso
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(1)
Un dossier complet sur la prophétie de St Malachie est accessible
sur le web
http://www.france-pittoresque.com/mots-histoire/12.htm
(2)
Concernant Saint Malachie, voici une information extraite du site
suivant
http://nominis.cef.fr/contenus/saints_40.html
« Saint Malachie d'Armagh : Il est surtout connu en raison
des prophéties sur les papes dont il aurait été
l'auteur et qui ne sont, en fait, que la fabrication d'un faussaire
qui se mit son patronyme. Le véritable Malachie est tout
autre. Il est né à Armagh en Irlande vers 1094. Il
entra dans la vie monastique et restaura l'abbaye de Bangor que
les Vikings avaient détruite. Choisi comme évêque
d'Armagh, il eût beaucoup à souffrir des seigneurs
qui tentèrent de l'assassiner. Ami de saint Bernard de Clairvaux,
il se rendit à Rome en 1139 pour demander au pape de lui
ôter sa charge et d'aller vivre à Clairvaux. La réponse
fut directe : nommé légat pontifical pour l'Irlande,
il devenait ainsi chef de l'Eglise de ce pays et c'est là
qu'il donna toute sa mesure en en faisant l'un des plus religieux
de la chrétienté. En 1148, il reprend le chemin de
Rome, tombe malade à Clairvaux. Saint Bernard lui-même
l'accompagnera jusqu'à son dernier soupir.»
(3)
« La prophétie de saint Malachie s'achève sur
une phrase mentionnant un pape du nom de Pierre le Romain. Est-ce
le même que celui dont la devise est De Gloria Oliviae
ou le pape amené à lui succéder mais qui n'accèdera
pas au trône ?
In persecutione extrema sacrae romanae ecclesiae sedebit Petrus
romanus, qui pascet oves in multis tribulationibus ; quibus transactis,
civitas septi-collis diruetor ; et judex tremendus judicabit populum
suum
(Dans la dernière persécution de la sainte église
romaine, le siège sera occupé par un romain nommé
Pierre, qui fera paître les ouailles au milieu de grandes
tribulations ; après quoi, la ville des sept collines - Rome
- sera détruite, et un juge terrible jugera son peuple).»
extrait de http://www.france-pittoresque.com/mots-histoire/12b.htm
(4)
Pour avoir une présentation précise de l'ordre des
bénédictins, on peut visiter le site suivant
http://www.st-wandrille.com/fr/abbaye/textes/txt_osb.php
En voici
un extrait :
« Il na jamais existé à proprement parler
dOrdre bénédictin au sens dune organisation
unifiée et centralisée. Néanmoins le Pape Léon
XIII a institué en 1893 une Confédération bénédictine,
union fraternelle des congrégations de moines qui vivaient
sous la Règle de saint Benoît, sauvant lautonomie
des congrégations et des monastères. Actuellement
la confédération bénédictine est composée
de 21 congrégations comptant un total de 8694 moines en 1995.
La confédération bénédictine est présidée
par un Abbé-Primat, qui est en même temps Abbé
du Collège bénédictin Saint-Anselme à
Rome, ...»
(suit la description des 21 congrégations dont celle du
Mont-Olivet)
« La congrégation du Mont-Olivet :
Ordre fondé en 1319, approuvé en 1344, intégré
à la confédération en 1960, la congrégation
olivétaine comporte 8 abbayes, dont 4 en Italie, 2 en France,
1 au Brésil et aux U.S.A.. Elle a également 7 prieurés
conventuels, 3 en Italie, 2 aux USA, 1 en Grande-Bretagne, 1 en
Israël ; 9 monastères, 1 au Brésil, 3 en Italie,
1 en France, au Guatemala, en Grande-Bretagne, à Hawaï
et en Corée du Sud ; enfin 3 celles, dont 2 en Italie et
1 au Brésil, soit 27 implantations et 253 moines en 1995.
A la congrégation du Mont-Olivet, sont incorporés
ou agrégés cinq monastères de moniales olivétaines».
(5)
Pour visualiser le blason en question, cliquez
ici
(6)
A propos des turbulences que l'Europe pourraît être
amenée à connaître, signalons que Saint Benoît
est le Saint Patron protecteur de l'Europe (proclamé par
Paul VI en 1964) !
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