RECTOVERSION, AN 10 DE L'AN 10.000

LE JOURNAL

numéro 6 - mai 2005

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Hommage à un grand peintre
Paul Rebeyrolle
par Michel De Caso

Le 7 février 2005, un grand peintre a quitté ce monde à l'âge de 78 ans, presque incognito. Le tintamarre médiatique n'a en effet guère prêté d'attention au décès de Paul Rebeyrolle. Pourtant Paul Rebeyrolle a reçu des prix dans sa carrière et a eu droit à une reconnaissance certaine qui a abouti en 1995 à l'ouverture de son espace-musée à Eymoutiers (1), dans la Haute-Vienne (2).

Installé dans une rébellion chronique, il a suivi imperturbable son chemin et s'est moqué des modes qui font et défont les anecdotiques soubresauts des vernissages mondains. J'aurais souhaité rencontrer Paul Rebeyrolle car son expressionnisme sauvage avait marqué profondément mes premières années de peintre.

Il restera l'un des grands artistes expressionnistes français mais l'on sait que l'expressionnisme est peu apprécié en France, pays dans lequel la chape de plomb du classicisme et de l'intellectualisme continue de peser sur les consciences.

Bien sûr, l'œuvre de Rebeyrolle est dure et angoissée mais quelle matière, quelle puissance et quelle force picturale! Il traite souvent de la douleur humaine, des doutes et des questionnements qui assaillent tout homme doué de raison et de sensibilité. Dans ses œuvres, l'être humain apparaît sans masque, avec ses tripes et sa fragilité. Rebeyrolle ne pratique pas la provocation de surface, celle dont on connaît les rouages tant ils sont servis à satiété. Non, son intention est de " faire avec ". Alors il " fait avec " la matière, il la triture, il la maltraite jusqu'à en extraire un équilibre où gangue et pépite cohabitent.

En trouvant cet équilibre, il réussit à stopper le processus inexorable de l'impermanence. En ce sens, sa peinture est profondément métaphysique mais sa métaphysique picturale est sauvage, non mentale, viscérale.

Son combat pictural est bien sûr un leurre car on en connaît l'issue fatale.
" Criez, pauvres humains, rira bien qui rira le dernier ", entend-on du fond de l'abîme, certes ! Mais quel pied de nez ou quel bras d'honneur à celui qui se rie de cette pathétique destinée humaine. Soutenu par un talent indiscutable, Rebeyrolle prend la matière à son propre jeu de l'impermanence en procédant à la transmutation de ses composés. Que ceux-ci soient de nature noble ou vile, il s'en moque. Il est au cœur du processus de l'expérience picturale contemporaine, celle qui consiste à mettre les mains dans la boue pour en extraire l'impromptu et le provisoire. Entre rires et larmes, l'expressionnisme de Rebeyrolle est.

© Michel De Caso


(1) Pour mieux connaître l'œuvre de Paul Rebeyrolle, vous pouvez visiter le site de l'Espace Rebeyrolle d'Eymoutiers :
http://www.espace-rebeyrolle.com/
(2) Eymoutiers était son village natal mais il est décédé dans sa propriété de Boudreville (côte d'Or) en Bourgogne.

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Suite à la disparition de Paul Rebeyrolle, j'ai sélectionné quelques articles.

I .
Télérama : http://www.telerama.fr/
Article d'Olivier Cena, Télérama n° 2875, 16 février 2005, page 50.
lire l'article complet
extraits :
« Un soir où nous dînions ensemble, je demandai à Paul Rebeyrolle où il en était de son travail…(…)… D'une voix chargée de colère, il me répondit brutalement : " Je ne travaille pas, je peins. "…(…)…
Paul Rebeyrolle ne donnait pas, il transmettait. Une journée passée en sa compagnie laissait le visiteur gonflé d'énergie et d'espoir. Très affaibli par la maladie, il concentrait ses forces pour peindre jusqu'au dernier instant, comme ces vieux sangliers blessés qui refusent de se coucher. On a d'ailleurs souvent comparé Paul Rebeyrolle aux sangliers qu'il peignait.
On y voit des autoportraits : même petits yeux à la fois malicieux et inquiets, même morphologie trapue et puissante, sans parler de la trogne de son nez épatée comme un groin, de sa barbe hirsute et soyeuse. Mais la comparaison ne s'arrête pas au physique. Il y a chez les deux le même instinct de liberté, et une sauvagerie sans laquelle nulle beauté n'est possible.
C'est pourquoi je crois que Paul, aussi bien dans sa vie que dans son œuvre, ne fut ni bon ni mauvais, mais qu'au-delà du bien et du mal il essaya toujours d'être juste. La justesse s'oppose à l'aveuglement, aux préjugés, au confort moral, à l'hypocrisie.
Paul Rebeyrolle est donc allé au bout de sa peinture :
" les possibilités qu'offre la peinture sont infinies, disait-il aussi, et je n'en explore qu'une infime partie. "…(…)…
Je ne reviendrai pas ici sur l'indifférence des grandes institutions artistiques nationales à son égard. L'avenir montrera leur stupide aveuglement. Car, et je tiens à l'écrire au présent, Paul Rebeyrolle est un très grand peintre.»
© Olivier Cena

II .
France 3 Bourgogne Franche-Comté : http://www.bfc.france3.fr
article d'Alain Pelletier, 10 février 2005 (lire l'article complet)
extraits :
«…(…)… Affaibli depuis plus d'un an, Paul Rebeyrolle vivait reclus dans son atelier du nord de la Bourgogne, aux confins de la Haute-Marne, où il travaillait nuit et jour à la création d'oeuvres fortes et violentes hérissées de bouts de bois, de grillages, de serpillières, de matière et qui suscitent autant d'effroi que d'interrogations fascinantes.
Né le 3 novembre 1926 à Eymoutiers, en Haute-Vienne, Paul Rebeyrolle était monté à Paris en 1944 avec l'intention de devenir peintre. Cet autodidacte qui n'a pas fait les Beaux-Arts, qui n'a été l'élève d'aucun peintre, qui s'est construit tout seul, entre en communion avec Rouault peu après son arrivée à Paris en descendant le boulevard Raspail : il aperçoit une oeuvre du peintre chrétien qui trône dans une vitrine et reste planté devant, "pendant cinq bonnes minutes". Quelque temps plus tard, en 1945, une exposition de Soutine agit sur lui comme une révélation : " je compris que Soutine était mon peintre ". Paul Rebeyrolle pourra, dès lors, devenir un peintre de l'expression exaltée des sentiments, comme la France en compte peu et en " reconnaît " peu, triturant de lourdes pâtes et prodiguant de larges éclaboussures bariolées sur d'immenses formats où il proclame ses passions et ses combats…(…)…
Quand on demandait à Paul Rebeyrolle quelle était, selon lui, la plus belle toile, Paul Rebeyrolle répondait :
" La descente de la Croix de Le Tintoret, une sorte de feu de braise, ça brûle les yeux. Mais il y a aussi Le radeau de la Méduse de Géricault ou La femme aux bas blancs de Courbet. J'appelle ça des tableaux indispensables. Le plus grand des génies ne fait pas des chefs-d'œuvre tous les jours, mais de temps en temps un tableau indispensable. "… »
© Alain Pelletier


III .
Le Monde : http://www.lemonde.fr
article d'Harry Bellet , 8 février 2005 (lire l'article complet)
extraits :
« L'artiste mort le 7 février est difficilement classable. Solitaire, à l'écart des courants, il entendait s'enraciner dans la grande peinture, celle du Titien et de Courbet. Mal représenté dans les collections publiques, il laisse derrière lui une œuvre immense traversée de rage et d'éclairs…(…)…
Au moment où il est question d'un "retour" de la peinture, la disparition de Paul Rebeyrolle est d'autant plus amère. Il en était, du fond de son grand atelier clair, une ancienne scierie et son moulin, coincé entre deux ruisseaux, une de nos meilleures vigies.»
© Harry Bellet


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