Le
7 février 2005, un grand peintre a quitté ce monde
à l'âge de 78 ans, presque incognito. Le tintamarre
médiatique n'a en effet guère prêté d'attention
au décès de Paul Rebeyrolle. Pourtant Paul Rebeyrolle
a reçu des prix dans sa carrière et a eu droit à
une reconnaissance certaine qui a abouti en 1995 à l'ouverture
de son espace-musée à Eymoutiers (1), dans la Haute-Vienne
(2).
Installé
dans une rébellion chronique, il a suivi imperturbable son
chemin et s'est moqué des modes qui font et défont
les anecdotiques soubresauts des vernissages mondains. J'aurais
souhaité rencontrer Paul Rebeyrolle car son expressionnisme
sauvage avait marqué profondément mes premières
années de peintre.
Il
restera l'un des grands artistes expressionnistes français
mais l'on sait que l'expressionnisme est peu apprécié
en France, pays dans lequel la chape de plomb du classicisme et
de l'intellectualisme continue de peser sur les consciences.
Bien
sûr, l'uvre de Rebeyrolle est dure et angoissée
mais quelle matière, quelle puissance et quelle force picturale!
Il traite souvent de la douleur humaine, des doutes et des questionnements
qui assaillent tout homme doué de raison et de sensibilité.
Dans ses uvres, l'être humain apparaît sans masque,
avec ses tripes et sa fragilité. Rebeyrolle ne pratique pas
la provocation de surface, celle dont on connaît les rouages
tant ils sont servis à satiété. Non, son intention
est de " faire avec ". Alors il " fait avec "
la matière, il la triture, il la maltraite jusqu'à
en extraire un équilibre où gangue et pépite
cohabitent.
En
trouvant cet équilibre, il réussit à stopper
le processus inexorable de l'impermanence. En ce sens, sa peinture
est profondément métaphysique mais sa métaphysique
picturale est sauvage, non mentale, viscérale.
Son
combat pictural est bien sûr un leurre car on en connaît
l'issue fatale.
" Criez, pauvres humains, rira bien qui rira le dernier ",
entend-on du fond de l'abîme, certes ! Mais quel pied de nez
ou quel bras d'honneur à celui qui se rie de cette pathétique
destinée humaine. Soutenu par un talent indiscutable, Rebeyrolle
prend la matière à son propre jeu de l'impermanence
en procédant à la transmutation de ses composés.
Que ceux-ci soient de nature noble ou vile, il s'en moque. Il est
au cur du processus de l'expérience picturale contemporaine,
celle qui consiste à mettre les mains dans la boue pour en
extraire l'impromptu et le provisoire. Entre rires et larmes, l'expressionnisme
de Rebeyrolle est.
©
Michel De Caso
(1) Pour mieux connaître l'uvre de Paul Rebeyrolle,
vous pouvez visiter le site de l'Espace Rebeyrolle d'Eymoutiers
:
http://www.espace-rebeyrolle.com/
(2) Eymoutiers était son village natal mais il est décédé
dans sa propriété de Boudreville (côte d'Or)
en Bourgogne.
---
Suite
à la disparition de Paul Rebeyrolle, j'ai sélectionné
quelques articles.
I
.
Télérama : http://www.telerama.fr/
Article d'Olivier Cena, Télérama n° 2875, 16 février
2005, page 50.
lire
l'article complet
extraits :
« Un soir où nous dînions ensemble, je demandai
à Paul Rebeyrolle où il en était de son travail
(
)
D'une voix chargée de colère, il me répondit
brutalement : " Je ne travaille pas, je peins. "
(
)
Paul Rebeyrolle ne donnait pas, il transmettait. Une journée
passée en sa compagnie laissait le visiteur gonflé
d'énergie et d'espoir. Très affaibli par la maladie,
il concentrait ses forces pour peindre jusqu'au dernier instant,
comme ces vieux sangliers blessés qui refusent de se coucher.
On a d'ailleurs souvent comparé Paul Rebeyrolle aux sangliers
qu'il peignait.
On y voit des autoportraits : même petits yeux à la
fois malicieux et inquiets, même morphologie trapue et puissante,
sans parler de la trogne de son nez épatée comme un
groin, de sa barbe hirsute et soyeuse. Mais la comparaison ne s'arrête
pas au physique. Il y a chez les deux le même instinct de
liberté, et une sauvagerie sans laquelle nulle beauté
n'est possible.
C'est pourquoi je crois que Paul, aussi bien dans sa vie que dans
son uvre, ne fut ni bon ni mauvais, mais qu'au-delà
du bien et du mal il essaya toujours d'être juste. La justesse
s'oppose à l'aveuglement, aux préjugés, au
confort moral, à l'hypocrisie.
Paul Rebeyrolle est donc allé au bout de sa peinture :
" les possibilités qu'offre la peinture sont infinies,
disait-il aussi, et je n'en explore qu'une infime partie. "
(
)
Je ne reviendrai pas ici sur l'indifférence des grandes institutions
artistiques nationales à son égard. L'avenir montrera
leur stupide aveuglement. Car, et je tiens à l'écrire
au présent, Paul Rebeyrolle est un très grand peintre.»
© Olivier Cena
II
.
France 3 Bourgogne Franche-Comté : http://www.bfc.france3.fr
article d'Alain Pelletier, 10 février 2005 (lire
l'article complet)
extraits :
«
(
)
Affaibli depuis plus d'un an, Paul Rebeyrolle
vivait reclus dans son atelier du nord de la Bourgogne, aux confins
de la Haute-Marne, où il travaillait nuit et jour à
la création d'oeuvres fortes et violentes hérissées
de bouts de bois, de grillages, de serpillières, de matière
et qui suscitent autant d'effroi que d'interrogations fascinantes.
Né le 3 novembre 1926 à Eymoutiers, en Haute-Vienne,
Paul Rebeyrolle était monté à Paris en 1944
avec l'intention de devenir peintre. Cet autodidacte qui n'a pas
fait les Beaux-Arts, qui n'a été l'élève
d'aucun peintre, qui s'est construit tout seul, entre en communion
avec Rouault peu après son arrivée à Paris
en descendant le boulevard Raspail : il aperçoit une oeuvre
du peintre chrétien qui trône dans une vitrine et reste
planté devant, "pendant cinq bonnes minutes". Quelque
temps plus tard, en 1945, une exposition de Soutine agit sur lui
comme une révélation : " je compris que Soutine
était mon peintre ". Paul Rebeyrolle pourra, dès
lors, devenir un peintre de l'expression exaltée des sentiments,
comme la France en compte peu et en " reconnaît "
peu, triturant de lourdes pâtes et prodiguant de larges éclaboussures
bariolées sur d'immenses formats où il proclame ses
passions et ses combats
(
)
Quand on demandait à Paul Rebeyrolle quelle était,
selon lui, la plus belle toile, Paul Rebeyrolle répondait
:
" La descente de la Croix de Le Tintoret, une sorte de feu
de braise, ça brûle les yeux. Mais il y a aussi Le
radeau de la Méduse de Géricault ou La femme aux bas
blancs de Courbet. J'appelle ça des tableaux indispensables.
Le plus grand des génies ne fait pas des chefs-d'uvre
tous les jours, mais de temps en temps un tableau indispensable.
"
»
© Alain Pelletier
III .
Le Monde : http://www.lemonde.fr
article d'Harry Bellet , 8 février 2005 (lire
l'article complet)
extraits :
« L'artiste mort le 7 février est difficilement classable.
Solitaire, à l'écart des courants, il entendait s'enraciner
dans la grande peinture, celle du Titien et de Courbet. Mal représenté
dans les collections publiques, il laisse derrière lui une
uvre immense traversée de rage et d'éclairs
(
)
Au moment où il est question d'un "retour" de la
peinture, la disparition de Paul Rebeyrolle est d'autant plus amère.
Il en était, du fond de son grand atelier clair, une ancienne
scierie et son moulin, coincé entre deux ruisseaux, une de
nos meilleures vigies.»
© Harry Bellet
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