Table ronde sur la Rectoversion
Maison de Gascogne, Auch

2

Alexandre L’Hôpital-Navarre
Par rapport à ce que vient de dire Michel, il y a un rapprochement entre Jean-Michel Le Joly et moi qui sommes des peintres totalement amateurs, car on n’a pas fait ceci pour devenir peintre ou faire de la peinture pour faire de la peinture, mais parce que le concept de la Rectoversion, ce concept triface, amène une démarche qu’on avait besoin d’utiliser pour exprimer quelque chose qu’on aurait pas pu exprimer indépendamment de ça. Personnellement, si j’ai fais ça, ce n’est pas dans l’idée de faire un tableau mais dans l’idée de faire un tableau rectoversé, avec ce thème de la dualité, des conflits intérieurs, à mon avis, mais peut-être pas vous, qu’on vit tous, et cette problématique du comment arriver à réconcilier ces conflits, comment arriver même si possible, à les dépasser. J’ai ressenti que ce concept que Michel a inventé, permettait de répondre à cette problématique très profondément et aussi matériellement car c’est pas uniquement une spéculation intellectuelle. Effectivement, comme a dit Michel, c’est difficile d’en parler parce que si on pouvait se contenter d’en parler, on ne ferait pas non plus de tableaux ; c’est donc un matériau de travail pour répondre à cette problématique là.

Pour le tableau que j’ai amené, tout ce dont je peux vous parler concerne son concept car ça rejoint des références qui sont connues. Bien, ce tableau là est circulaire. Sa forme reprend celle d’une sapèque*, qui est une pièce de monnaie chinoise ronde avec une percée carrée au milieu, le cercle à l’extérieur représentant le ciel et le carré représentant la terre. Là où il y un mélange, une association, c’est qu’il y a l’idée d’une croix, qui s’associe à ce cercle et à cette percée carrée, et volontairement, j’ai voulu mettre un miroir dessus pour créer un esprit d’ambivalence quand on regarde le tableau, ambivalence entre ce que le tableau projette à nous et ce qu’on peut y voir. Quand on regarde le tableau, on voit directement qu’il y a trois dimensions. IL y a la dimension de ce qui est peint en noir, la figuration, la dimension du miroir qui nous rejette notre image, et la dimension de la percée où il y a une disparition du miroir et de la figuration. Cette superposition de trois dimensions, j’ai trouvé que ça correspondait à l’aspect ternaire de la Rectoversion.

Ensuite, il y a des références symboliques, ce sont des lettres de l’alphabet hébreux, de l’alphabet sacré, qui sont les quatre lettres du mot de Dieu dans l’hébraïsme, vous avez le Yod, le Hé, le Vav et le Hé. Je vous précise que je ne suis pas juif ni de confession israélite, c’est juste une référence, mais si j’ai utilisé cette référence, c’est parce qu’on dit dans la tradition juive que le nom de Dieu est inexprimable, imprononçable, donc il y a un paradoxe et c’est aussi le paradoxe de la Rectoversion, c’est qu’on présente le nom de Dieu mais personne ne peut le prononcer. Normalement, on l’a toujours traduit soit par Jéhovah, soit par Yahvé, mais ces traductions sont des compromis car normalement un juif qui lit dans le texte ce mot là, le remplace par un autre, parce qu’il est imprononçable. Ça rejoint un peu l’idée de la Rectoversion en elle-même, c’est-à-dire que de par le paradoxe qu’amènent les deux faces, on présente quelque chose mais on ne peut jamais en saisir définitivement le sens. Le sens, en même temps, est toujours renouvelé, toujours à chercher, et même si possible, à dépasser. Donc, il y a toujours une dynamique perpétuelle. Et pourtant, ce n’est pas une dynamique délirante, coupée de la réalité, parce qu’il y a un matériau qui est présent, qui est là, qui est visible.

Dans l’autre tableau, on rejoint aussi cette même symbolique. J’ai représenté sur les deux côtés sur un fond bleu foncé d’un côté, clair de l’autre, ce qu’on appelle le nœud de Möbius. Son principe est que si vous prenez un ruban et en collez les deux bouts, au lieu de les coller dans le sens, vous les tordez. A ce moment là, si vous suivez avec le doigt une face du ruban, l’intérieur devient l’extérieur et vice-versa. Si bien qu’il n’y a pas d’extérieur définitif et d’intérieur définitif comme un peu dans la Rectoversion où une face est inséparable de l’autre. Donc, il y a une giration de la représentation qui nous amène à dépasser la dualité en tant que tel. La dualité est là mais le concept en lui-même nous incite à la dépasser.



* La sapèque est une ancienne monnaie chinoise et indochinoise, en usage jusqu'au début du XX° siècle. C’était aussi la pièce de monnaie de la valeur la plus faible, une pièce ronde en cuivre ou en bronze percée au centre d'un trou carré. L'origine de cette pièce se trouve dans la standardisation de la monnaie de circulation en Chine, au cours de la dynastie Qin (-221 à -206): les pièces devaient être rondes et percées en leur centre d'un trou carré portant deux caractères « ban liang »… Pour faciliter leur transport, les sapèques étaient réunies par des cordelettes passées dans leur trou central, constituant ainsi des cordons de 100 ou 1000 pièces. (extrait Wikipédia)

 

2