Table ronde sur la Rectoversion
Maison de Gascogne, Auch

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Fabrice Bianchi
Il y a un point de vue pratique, ensuite simplement pictural, et un point de vue théorique, de réflexion et de pensée. Ce qui m’a intéressé effectivement dans l’idée de Rectoversion, je connais Michel depuis longtemps, donc je l’ai vu commencer à peindre de cette façon, au début j’étais un peu septique, je regardais ça et je trouvais qu’il y avait un côté jusqu’au-boutiste, puis je me suis interrogé sur la question et j’ai trouvé et me suis rendu compte que ça collait pas mal avec ma pratique professionnelle puisque j’ai travaillé sur la négociation et dans la négociation, on apprend justement aux gens de ne pas raisonner en tout ou rien, de dépasser aussi ses dualités, ses oppositions, ses contraires, pour arriver à des choses d’un peu plus réfléchi, plutôt que d’arriver à deux camps qui se battent.

Il y avait aussi un autre aspect pour moi qui était la référence à la psychanalyse car on s’aperçoit qu’on fait souvent des blocages qu’on peut analyser en psychanalyse comme à la racine des dualités qu’on a installées, des choses en contraire, qu’on organise pas forcément mais en tout cas dans notre histoire, ça s’est construit comme ça, on raisonne encore en tout ou rien ou en contraire, une face positive, une face négative. Voilà comment j’ai pu rejoindre ce concept de Rectoversion puisque j’appelle ça un support-concept dans la mesure où c’est un support différent puisqu’on se saisit des deux faces et de percées, mais en même temps c’est pas seulement un support, c’est aussi un concept, et pour autant, on ne se réclame pas de la peinture conceptuelle, ça c’est clair.

Et effectivement, c’est aussi un concept puisque pour nous tous, on a tellement été structuré par un envers, un endroit, un revers de la médaille, avec toutes les valeurs négatives que l’on met sur l’envers, ça rejoint encore la psychanalyse là, le conscient, l’inconscient, ce qu’il faut cacher et ce qu’on peut faire voir, etc., donc effectivement ici, le spectateur, le regardant, il est aussi chargé comme nous tous, qu’il y a un contraire un peu négatif, donc on aura tendance à aller chercher le négatif de l’autre côté, autre chose en opposition. C’est amusant aussi de s’en saisir autrement, pour arriver aussi à cet aspect ternaire, c’est-à-dire que nous, on trouve pas forcément l’opposé derrière, ça pourrait être le cas mais c’est pas obligé, ça peut être autre chose, il y a d’autres ouvertures, il y a une position tierce, qui permet par exemple en négociation de dire « c’est peut-être pas lui qui a complètement raison mais c’est peut-être pas moi qui ai complètement raison », alors on a un point de vue d’un troisième regardant qui dit « attendez, là, il y a un peu des deux à prendre ». Donc cette idée me séduisait bien.

Jean-Michel Le Joly
Moi ce qui me séduit dans le concept Rectoversion, un peu comme vous, c’est cette façon de dépasser les antagonismes, de trouver une sorte de troisième partie qui est intégrée dans les deux parties visibles, et qui est à la fois dedans et à la fois autre chose. Je suis informaticien de formation au départ, assez éloigné du milieu artistique, je commençais à me dire il y a quelques années, le binaire ça suffisait pas, 0 et 1 j’en avais marre, les choses toujours en opposition, j’en avais marre, moi je m’accrochais uniquement à tous ce que la science pouvait expliquer, j’en étais uniquement à ça, et je me suis dit que ça suffit pas pour expliquer, il y a une part d’irrationnel dans la vie qu’il faut accepter, et plus fort que ça, si on réfléchit un peu, on s’aperçoit même que la science s’appuie elle aussi sur l’irrationnel. Si vous prenez la physique quantique tout simplement, elle ne s’applique que sur des probabilités. Tous les modèles scientifiques modernes de la physique quantique sont établis sur des probabilités, donc des choses dont on n’est pas certain.

Et donc c’est un peu ça et la découverte à travers le site internet de Michel de la rectoversion qui m’a donné envie de pousser la réflexion un peu plus loin et de me lancer carrément pour moi-même, essayer d’exprimer à ma façon cette vision que je peux avoir. Comme le disais Fabrice, on peut très bien ne pas avoir d’opposition sur deux faces, on peut avoir quelque chose de complémentaire mais aussi quelque chose qui n’a carrément rien à voir ou quelque chose d’opposé. Moi, pour l’instant, c’est vrai que j’aime bien faire des choses opposées sur une face et l’autre, et utiliser la percée pour dépasser cette opposition justement et montrer que finalement le tout contient à la fois les opposés et éventuellement autre chose d’un peu plus irrationnel. Voilà, c’est à peu près ce que je peux expliquer.

Sur ce tableau, ce que j’ai voulu essayer d’exprimer, c’est un peu l’opposition entre le jour et la nuit, on retrouve des couleurs un peu moins vive sur cette face, entre la mort de ce côté avec Anubis et la vie de ce côté avec Râ qui représente le soleil, et après il y a une percée sur laquelle j’ai beaucoup insisté, c’est celle qui est au milieu de la croix de vie égyptienne, la croix Ankh ou ansée, et là je crois que j’ai vraiment bien exprimé ce que je voulais à travers cette percée dans la mesure où à travers cette croix de vie, je montre bien le lien entre les deux mondes, le visible et l’invisible, du jour et de la nuit, du bien et du mal, et tout ce que vous voudrez, et montrer le lien entre des éléments qui pourraient apparaître au départ comme parfaitement opposés. Celui-ci n’est que mon troisième tableau, mais je pense que je vais continuer parce que ça m’aide à m’exprimer un peu différemment qu’avec les zéros et les uns. Voilà.

Michel Olivier
Vous avez très bien parlé de la Rectoversion, moi je ne la pratique pas encore, mais je pense qu’un jour, je vais, avec ma démarche à moi, que j’essaye encore d’affiner, qui est le Planart, je pense qu’un jour il pourrait y avoir un lien entre cette vision verticale des choses et une interprétation rectoversée, en rectoversion. C’est pour ça qu’on garde contact car je suis très intéressé par l’évolution mais pour l’instant, je ne touche pas encore à la Rectoversion.

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