Le Métadualisme
par
Alexandre L'Hôpital-Navarre

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III / LE MONISME DUALISTE


1/ Contre solution et pseudo solution

Parce qu’il se fonde sur la notion centrale de séparation, le dualisme induit une politique drastique : il faut à tout prix et par tous les moyens retrouver le principe perdu en y faisant fusionner, disparaître la dualité qui nous en écarte. La dualité est responsable de la séparation, de la chute et du pêcher, et elle doit disparaître en tant que telle, disparaître dans le principe qui ne peut l’admettre.

On appelle cette politique le « monisme ». Or, l’interprétation consacrée que l’on a de ce terme trahie encore ici la confusion sémantique du dualisme. En effet, « monisme » est communément entendu comme « un système philosophique qui considère l’ensemble des choses comme réductible à l’unité », et communément opposé à l’antonyme « dualisme »… En opposant une notion à son contraire, le dualisme croit et prétend toujours l’annihiler de facto !

Il faut pourtant bien admettre que « monos » n’a jamais signifié « un » ou « unité » en grec, mais « seul », dans le sens d’isolé, séparé. C’est bien là la preuve que ce que le monisme vise comme « principe » ; comme « unité », n’est en fait qu’un principe exclusif de tout autre chose que lui-même, à commencer par la dualité qui est « deux » et non « un » par définition, si bien qu’on ne peut conclure autre chose d’autre que ce monisme est dualiste par essence et excellence, dualiste dans le sens où il n’admet pas la dualité.

Non seulement le monisme n’est pas l’adversaire du dualisme, et encore moins sa prétendue résolution, mais il en est indubitablement le complément indissociable avec lequel il agit en parfaite intelligence. A chaque fois qu’un dualisme apparaît, un monisme l’accompagne, et vice versa.

 

2. Attraction / Répulsion

Ce monisme dualiste utilisera de façon récurrentes deux méthodes complémentaires pour parvenir à ses fins : l’absorption et l’exclusion, méthodes qui correspondent aux deux phases centripètes et centrifuges de la dualité.

Si l’on considère les deux termes A et B dans un plan d’action moniste, il incombera à l’un d’eux qui aurait été élu comme représentant du principe encouru, soit de diriger, dominer, humilier, aliéner, phagocyter l’autre, soit de le nier, de l’abandonner, de l’exclure, de le détruire, de l’éliminer. L’un ne va pas sans l’autre, et l’un est bien souvent simultané à l’autre.

Cette double méthodologie, on la retrouve dans tous les domaines et à tous les étages de notre civilisation, qu’ils soient sociaux, politiques, économiques, religieux, philosophiques, culturels, idéologiques, même et surtout lorsque les différentes « écoles » ou « églises » qui y président l’utilisent en prétendant s’opposer les unes aux autres ; elles n’en continuent pas moins, sous des aspects et des points de vue dissemblables, d’en faire perdurer l’essence de leur principe commun ; le principe du monisme dualiste. En énumérer ou seulement décrire les exemples majeurs semble aussi évident que fastidieux et indéfini, et c’est ce que j’ai pourtant effectué dans un texte intitulé « je pense donc je dis ».

Cependant, il faut préciser d’une part qu’en attribuant cette méthodologie à « notre » civilisation, il ne s’agit pas d’une opposition à « d’autres civilisations » qui en seraient exempts, mais bien d’un rappel que c’est dans « la notre » précisément que cette méthodologie est devenue exemplaire au point de s’institutionnaliser de façon irréversible, généralisée, et d’en devenir consécutivement le modèle universel. C’est ainsi que le monisme dualiste peut prendre tous les aspects, même les plus inattendus, ou les plus prétendument opposés au monisme dualiste, comme le scientisme, le démocratisme, l’athéisme, la laïcité, l’humanisme, la spiritualisme….etc.

 

3. Messianisme et nihilisme

D’autre part, et pour corroborer cette assertion, le signe de reconnaissance du monisme dualiste, signe que nous n’aurons pas manqué, j’en suis persuadé, de déceler dans les catégories précitées, reste toujours identique à lui-même : c’est celui du messianisme. Le moniste dualiste, sous quelque casquette qu’il puisse se manifester, est toujours le possesseur, le porteur, le défendeur du Bien, de la Vérité, de la Solution, du Salut, bref de cet axe qui ne veut pas s’avouer ou qui s’avoue franchement « transcendantal », universel et intemporel, mais qui bien sûr est encore extérieur au monde qu’il veut sauver, tout simplement parce que ses ennemis, qui n’ont pas l’intelligence de comprendre son point de vue, s’opposent à sa révélation, sa réalisation… et qu’ils ne sont pas encore ou convertis ou éliminés.

Le messianisme est donc la marque patente du caractère exclusif accordé au principe uniciste que le monisme défend. Or, cette sublimation hallucinatoire d’un principe salvateur suppose nécessairement son contraire, à savoir l’effondrement des valeurs, la disparition du principe de réalité, la perte effective de tout repère dual constructif: le nihilisme. Rappelons nous en effet que le dualisme se persuade d’une séparation entre essence et manifestation bipolaire, et entre les forces duales qui la conditionnent, donc qu’il constate subjectivement la perte de tout principe et de tout repère.

C’est ainsi que, sans plus de bornes binaires sur lesquelles s’appuyer, acculer au néant, le moniste dualiste s’enrage d’imaginer, de recréer et de reconstruire ce principe qu’il croit perdu. Et il ne peut le faire que dans l’effort, dans la contrainte, par la force, par la violence ; débats aussi vains que délétères, préjudiciables, et qui ne peuvent donc se dissocier de la désillusion, de l’abattement, de l’inaction, de la course au chaos, de l’énergie du désespoir. Il veut imposer le principe, et s’il ne peut pas, il le prétend inexistant, illusoire. Et ce principe, pour naturel qu’il fut et qu’il soit en réalité, devient artificiel, virtuel, arbitraire. Il n’y a plus qu’une seule fin, et tous les moyens sont permis, justifiés.

En accompagnement, pour redisposer de facteurs favorisant l’émergence de ce principe perdu et projeté, il fabrique également artificiellement et arbitrairement des repères duaux là où ils n’existaient pas préalablement, ou en vertu d’un principe pour lequel ils n’étaient pas destinés.

En refusant la dualité à tout prix, le monisme dualiste ne s’en sort plus, ne s’en sort jamais, et n’arrive inévitablement qu’au contraire de ce qu’il ambitionne, de ce qu’il messianise.

Voilà donc se profiler les deux caractères gémellaires du monisme dualiste ; une tendance fondamentale, un système idéologique et une politique à la fois exclusive et arbitraire. Le monisme dualiste, c’est l’application concrète d’une interprétation délirante de la dualité, une application aussi désastreuse que son interprétation en est faussée.

Mais pour comprendre les tenants de cet égarement attentatoire, il est indispensable de revenir sur ce qui en constitue le fondement, c’est à dire l’origine et la raison de la dualité elles-mêmes.

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