L'aventure "rectoversée"
d'un non-artiste

par Jean-Michel Le Joly

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III/ Passage à l'acte (Verso)


Etre séduit par une idée est une chose, la mettre en pratique en est une autre. Aux alentours du mois d'Octobre 2004, j'étais bien décidé à franchir le pas. Cependant, je préférai en discuter avec Michel avant de foncer tête baissée. J'ai si souvent confondu vitesse et précipitation, me conduisant à un enthousiasme explosif suivi d'abandons ou de déceptions, que je ne voulais pas commettre encore une fois le même genre d'erreur. Je voulais profiter d'une visite de Toulouse où Michel était présent pour lui parler de ma grande envie de me lancer, mais le passage éclair de celui-ci ne m'a pas donné l'occasion de le faire ce jour là. Bien décidé à ne pas attendre une prochaine rencontre qui pouvait être assez lointaine dans le temps, j'écrivais à Michel pour lui parler de mon intention de me lancer.

Le fait de parler de mes intentions était aussi au départ un bon moyen de me forcer, sans abandonner à la moindre difficulté ou contrainte de temps. La réaction de Michel ne se fit pas attendre, et sa grande ouverture d'esprit envers un non-artiste tel que moi m'a énormément fait plaisir. C'est ainsi qu'après avoir débattu de ce que je pensais de la Rectoversion et après avoir défini mes motivations, j'entrais au sein du mouvement "Rectoversion, an 10 de l'an 10000", animé par Michel. Là encore, pour me faire violence et être sûr d'aller jusqu'au bout de mon idée, je décidais de livrer l'état d'avancement de mon projet assez régulièrement au sein du forum privé du mouvement. Les échanges avec les différents membres sont toujours d'une richesse incroyable, et le respect et la tolérance étant de mise, chacun peut se livrer tel qu'il est et se doit d'accepter les idées, les conseils et les opinions des autres.

Ayant toutes les armes en main, je me lançais dans le projet à proprement parler, au sens pratique du terme. Comme il y avait déjà deux ou trois mois que je songeais sérieusement à me lancer, j'avais plusieurs idées de tableau en tête. Malgré tout, n'ayant aucune pratique, connaissance ou don pour le dessin, je me devais de commencer par quelque-chose à ma portée. Je retenais donc l'idée de représenter une croix occitane d'un côté, où les percées correspondraient aux douze boules de cette croix. Pour l'autre face, je ne savais pas trop au départ si j'allais représenter un zodiaque ou une horloge. Ne sachant pas trop comment styliser l'horloge, c'est le zodiaque qui l'a emporté.

Me voilà dans le magasin de bricolage, en train d'acquérir un carré d'aggloméré de 60 centimètres de côté et de 10 millimètres d'épaisseur. Je passe par le rayon peinture afin d'acheter un apprêt tout support, afin de lisser un peu le bois et surtout pour avoir une couche d'accroche. Etant donné que le magasin de jouets est tout à côté, je me procure là des pinceaux fins, et surtout la peinture à maquette que je vais utiliser pour mon tableau. "Peinture à maquette ?!" me direz-vous? Et bien oui, pour moi cela présente l'avantage de se procurer un grand nombre de coloris à petit prix et surtout c'est une peinture facile à étaler, très brillante et extrêmement solide une fois sèche. Le matériel et la motivation sont là, il ne reste plus qu'à passer à l'acte.

Pour la sous-couche et la découpe, je m'installe au garage car les tâches de peinture et les copeaux sur le plancher du bureau, c'est très irritant. J'enduis une face et trois tranches le premier soir, la deuxième face et la dernière tranche le lendemain. Puis, les choses sérieuses commencent. Ayant trouvé sur Internet un modèle de fabrication de la croix occitane, je me saisis d'une longue règle, d'une équerre, d'un compas que je suis obligé d'allonger en scotchant un morceau de bois dessus, pour parvenir à mes fins. Ce n'est pas sans peine que je décrypte le schéma de construction que j'ai, pour d'ailleurs finalement trouver un autre modèle pour tracer les arcs de cercles qui lient les boules au centre de la croix ; vu que le modèle m'aurait imposé de sortir d'au moins trente centimètres de chaque côté du tableau pour pouvoir effectuer le tracé.

Ce qui est surprenant, c'est que les deux modèles sont pourtant parfaitement superposables. Une fois le dessin de la première face terminé, je me dis qu'il faut faire les percées maintenant, pour pouvoir correctement placer le dessin de la deuxième face. J'attaque le support à la scie cloche avec ma perceuse, et là, miracle de la quincaille à bas prix, la scie explose en abîmant fortement le support, le mandrin de la perceuse achevant la catastrophe avec son élan. Je crie beaucoup, retrouve la paix intérieure après m'être fait mal en démontant cette scie de m….. Je suis fatigué, je vais dormir.
Le lendemain soir, me revoilà avec un nouveau support et surtout avec une scie cloche à 15 euros afin de remplacer le lot de 6 à 1 euro 50. A nouveau deux soirs de perdus à badigeonner le support avec la sous-couche. Le dessin de la croix m'a pris un peu moins de temps du fait de ma très grande expérience d'une semaine sur la construction de celle-ci. Bizarrement, les percées se passent beaucoup mieux que la première fois et cela ne me prend pas trop de temps et le travail est correct. Je ponce légèrement l'intérieur des percées et les enduis à leur tour avec l'apprêt. Très vite, je vais pouvoir me lancer dans la couleur.

Le support déménage du garage pour l'étage, car la fonction d'un garage est de pouvoir y mettre les véhicules, et peindre la nuit quand il fait moins cinq ou moins six, c'est quand même plus facile dans une pièce chauffée.

Le temps passe et pour l'instant je n'avance pas trop vite. Pour ne pas rater mon "coloriage", je ne travaille que sur une seule couleur chaque soir. Je commence par le jaune matérialisant la croix, s'en suit le rouge qui la remplie, puis je termine la première couche sur la première face par le bleu et le prune en quinconce qui terminent le recouvrement de cette face. Je dois bien l'avouer, je comptais travailler indifféremment sur les deux faces, de sorte qu'il n'y a à définir ni recto ni verso, mais cette face presque achevée s'apparente au recto par chronologie des tâches.

C'est pourquoi le soir suivant, je me décide à retourner le support et attaquer la deuxième face, plutôt que de passer la deuxième couche sur la première. Deux cercles concentriques voient immédiatement le jour, englobant entre eux les douze percées, de sorte que je puisse placer dans cette zone les douze signes du zodiaque occidental. Je trace ensuite avec grande application ces signes, à grand renfort de règle graduée et de savants calculs d'encombrement pour bien les centrer. Je suis crevé, je vais dormir.

La nuit portant conseil, je décide d'appliquer aussi sur la deuxième face les couleurs bleu et prune de la première, en quinconce avec l'autre face et entre elles, pour ce qui est de la partie centrale et de la partie en dehors de la zone définie par les deux cercles concentriques. C'est peut-être un peu compliqué, mais il suffit de voir une photo pour comprendre que c'est moi qui complique les choses par ma façon de les décrire. Les soirs suivants, je m'atèle au remplissage complet de la face zodiacale, et même à la seconde puis la troisième couche. La semaine suivante, c'est la première face qui reçoit ses deux autres couches de peinture.

Mon Dieu, j'ai peur, on dirait que j'ai fini ma première peinture rectoversée ! J'appose alors ma signature et le titre du tableau sur les deux faces et je suis triste que l'aventure soit déjà terminée. Heureusement, les idées fusent et d'autres tableaux suivront.

 

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