Il
y a 22 ans, en 1981, quelques mois après mon arrivée
à Paris, je rencontrai Danielle Navarre qui est ma compagne
depuis cette date. Je me souviens qu'elle avait affiché sur
un mur de son appartement une citation qu'elle avait recopiée
sur un papier kraft grand format. J'avais apprécié,
comme elle, cette citation que voici :
« Il est des peintres qui peignent sans penser et c'est le
cas de la plupart.
Il en est d'autres qui pensent avant de peindre et ceux-là
vont un peu mieux.
Il en est quelques uns, enfin ... qui peignent pour penser. La peinture
est leur méthode de recherche, moyen d'être en contact
plus étroit avec ce qui les entoure, façon d'atteindre
à une conscience plus aiguë des êtres et des choses
et de leur attribuer une signification. »
Michel Leiris (1901-1990)
En
1981, je ne me doutais pas que Danielle, en mettant en exergue cette
citation sur son mur, avait eu un choix prémonitoire. En
effet, encore récemment mais cela n'est pas nouveau, il m'a
été reproché d'accepter dans le mouvement que
s'y expriment des points de vue psychologiques et métaphysiques.
Il m'a été suggéré de limiter la pensée
du mouvement au cadre strict de l'activité artistique, comprise
comme la production et la vente d'uvres.
Dans le mouvement, nous sommes bien conscients qu'un artiste doit
produire et vendre ses uvres. C'est pourquoi, nous n'obligeons
personne à penser son art et à l'exprimer. Pour autant,
il n'y aucune raison d'empêcher de penser et de s'exprimer
ceux qui ont quelque chose à dire et à partager autour
de thèmes liés bien sûr au mouvement.
A
ce propos et pour mémoire, nous rappelons le "plus petit
dénominateur commun" qui est sensé expliquer
la présence des membres dans le mouvement :
«
Le 5 mars 2002, a été créé le mouvement
artistique "rectoversion, an 10 de l'an 10.000".
Le but du mouvement est de susciter une émulation artistique
autour de questionnements soulevés par le concept de la Rectoversion
comme, par exemple :
- questionnement de l'approche unidirectionnelle.
- qu'est-ce que l'endroit (recto)?
- qu'est-ce que l'envers (verso)?
- quelles relations unissent l'endroit et l'envers?
- peut-on dépasser l'antagonisme de l'endroit et de l'envers?
- etc...
Si votre recherche correspond au moins à l'un de ces questionnements,
vous pouvez demander à rejoindre le mouvement "rectoversion,
an 10 de l'an 10.000".»
Compte
tenu de ce "plus petit dénominateur commun", il
est certes souhaitable que les textes dans le Journal traitent en
priorité de thèmes artistiques liés à
ces questionnements mais il est évident que le Journal ne
peut pas se contenter d'être simplement un bulletin d'information
et de promotion artistique. Pourquoi dès lors censurer les
textes réflexifs sur l'art, même si leurs prolongements
sont philosophiques et/ou spirituels car l'art, la philosophie et
la spiritualité sont intimement liés ? Les seules
réserves concernant des prises de position sont exprimées
dans la Charte du mouvement et consistent à rejeter tous
les fondamentalismes, quels qu'ils soient.
Voici
les extraits de la Charte en question :
« article 2 :
L'adhésion au mouvement suppose que l'adhérent respecte
la charte en vigueur. L'adhérent s'engage à respecter
une certaine déontologie et à ne pas utiliser "rectoversion,
an 10 de l'an 10.000" pour exprimer des opinions ou présenter
des images à caractère raciste, xénophobe,
pédophile, diffamatoire, pornographique, ou considérées
comme dangereuses.
article 5 :
"rectoversion, an 10 de l'an 10.000" est un mouvement
informel. Il n'est ni un mouvement politique ni religieux. Aucun
mode de pensée n'est imposé. Son mode de fonctionnement
est basé sur l'adhésion volontaire de chacun. Il ne
prône pas une vision unique et l'individu reste l'élément
primordial.
"rectoversion,
an 10 de l'an 10.000" rejette toute les formes d'intégrisme,
qu'il s'agisse d'intégrisme religieux, politique, psychologique,
sociologique, rationaliste, etc...»
C'est
donc bien le refus de tout fondamentalisme qui dicte nos choix.
Cette limitation dans la pensée que certains réclament
est d'autant plus non avenue qu'elle est exprimée par ceux-là
même qui revendiquent une hypothétique libre pensée
qui n'a de libre que le nom. En effet, la véritable libre
pensée devrait être apte sinon à comprendre
du moins à accepter les autres façons de penser.
La
libre pensée rationaliste - comme la pensée religieuse
- ne pose pas de problèmes particuliers jusqu'à ce
qu'elle puisse devenir un dogme. Dans ce cas, s'il est courant de
dénoncer l'attitude dogmatique de la pensée religieuse
qui devient alors une pensée intégriste, il est bien
plus rare de dénoncer l'athéisme lorsque celui-ci
masque un dogmatisme manifeste. Pourtant, l'athéisme dogmatique
peut être perçu comme l'autre face du religieux intégriste.
Les deux attitudes cohabitent en s'ignorant, comme les deux faces
d'une même médaille. Ils se considèrent comme
des systèmes totalisant détenteurs de la vérité
ultime. Dans le rejet de l'autre, l'athéisme, comme le religieux,
ne dispense en rien des excès de l'intégrisme.
©
Michel De Caso
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